Écrit par Gilles Rivet
Pour poursuivre les discussions engagées à l’occasion des Mardis de Polanyi, Gilles Rivet interroge la faible prise en compte de la question démocratique interne par les organisations de l’économie sociale. Historiquement, les organisations de l’économie sociale se sont trop centrées sur le consommateur, et insuffisamment sur le producteur : leurs salariés aujourd’hui ne sont guère conviés à la prise de décision. « Il est donc sans doute temps que l’économie sociale procède à sa propre radicalisation démocratique, en considérant qu’elle ne peut exclure le fonctionnement de ses organisations de son ambition démocratique générale ».
Contribution à une discussion…
…Celle qui s’est engagée au sein de l’Institut Polanyi, et tout particulièrement au cours des rencontres de février et mars. Nous y avons notamment abordé les questions de démocratie, dans et autour des organisations de l’économie sociale.
C’est sur le thème de la démocratie sociale au sein des entreprises de l’économie sociale que je voudrais ici intervenir.
Constats critiques
Au cours de mes interventions de consultant au sein du cabinet COPAS (coopérative de conseil dans le domaine des politiques sociales), d’une part, et de mon activité d’enseignement à FCP3 (Service de formation continue de Paris 3), d’autre part, j’ai eu l’occasion de constater une faible capacité d’innovation des organisations de l’économie sociale en matière de démocratie sociale, voire des pratiques parfois en retrait sur le simple droit du travail.
À partir de ce constat, un nombre croissant d’entreprises de l’économie sociale semblent vouloir réagir à ce qui est analysé comme un décalage entre, d’une part, les valeurs portées, défendues, revendiquées par ces organisations dans leur intervention et, d’autre part, des pratiques de management souvent fort éloignées voire en contradiction avec ces valeurs. Je dispose en tout cas de deux indicateurs permettant de suggérer une telle évolution. Tout d’abord, COPAS est saisi, de manière nettement plus fréquente depuis une petite dizaine d’années, d’interrogations de la part de ses clients associatifs concernant les questions de management. À tel point qu’avait été élaboré un projet de recherche-action pour aider ces associations à préciser la nature de leur interrogation, notamment à partir d’une réflexion sur les caractéristiques du statut et de la structuration associative avec, en contrepoint, les statuts et structurations coopératifs. Cette recherche-action n’a finalement pas été menée à son terme, mais les préoccupations et les interrogations de dirigeants associatifs demeurent. Ensuite, le CCFP (Centre de coordination de formation professionnelle), OPCA « de l’économie sociale et du mouvement social »[1], a proposé à FCP3 de créer un diplôme universitaire intitulé « Conduite de projet dans l’économie sociale par la recherche-action », destiné à des dirigeants d’entreprises de l’économie sociale. À l’origine de ce projet, la volonté de travailler sur la contradiction, considérée comme choquante et de plus en plus insupportable, entre les déclarations des organisations adhérentes au CCFP en matière d’égalité, de solidarité, de dignité humaine…et leurs pratiques de management.
Mais plus précisément, quelles sont ces pratiques considérées comme si choquantes ?
La difficulté à accueillir le fait syndical en est une. Le fait syndical nous intéresse évidemment en tant que figure emblématique de la démocratie sociale. Mais ce qui doit nous intéresser plus particulièrement, c’est la nature des difficultés rencontrées. Et, sans prétendre décrire la totalité des figures existantes, je voudrais m’attarder sur deux d’entre elles : la difficile reconnaissance du fait syndical dans les associations, d’une part ; l’hostilité des syndicats aux démarches participatives, d’autre part.
La difficile reconnaissance du fait syndical
Il convient de préciser que cette reconnaissance difficile peut être explicitement le fait de la hiérarchie, dans une entreprise de l’économie sociale. Elle peut également être le fait des salariés plus généralement, ces derniers intégrant le fait qu’ils travaillent dans une organisation particulière dans laquelle, en quelque sorte, il ne serait pas convenable de se syndiquer. Cette position est fréquente et fortement ancrée. Elle s’appuie sur l’évidence d’une mission à laquelle sont associés l’ensemble des acteurs, quel que soit leur statut : dirigeants, salariés, bénévoles. Se syndiquer (ou se faire élire comme délégué du personnel, ou créer un CHSCT…) reviendrait à mettre en doute la dimension intrinsèquement bienfaisante de la structure considérée, d’une part ; à la mettre potentiellement en difficulté, d’autre part.
Les hostilités syndicales aux démarches participatives
À l’autre pôle de l’axe « places des organisations syndicales dans des entreprises de l’économie sociale », on trouve de grosses associations, œuvrant par exemple dans le champ social et médico-social, dans lesquelles l’ensemble des Institutions de représentation du personnel ont droit de cité, sont présentes et actives. Et, à l’intérieur de ces dernières, on rencontre fréquemment la situation suivante, apparemment paradoxale : lorsque des démarches participatives sont mises en œuvre, elles suscitent parfois une franche, voire une véhémente hostilité des organisations syndicales.
Comme dans l’écrasante majorité des entreprises, qu’elles appartiennent à l’économie sociale ou à l’économie capitaliste, ces démarches participatives sont mises en œuvre à l’initiative de la direction. C’est donc une très classique méfiance – méfiance de la manipulation, de la « collaboration de classe » – à l’égard d’une proposition patronale qui expliquerait la position syndicale. Cependant, le fait que nous nous trouvons dans une entreprise de l’économie sociale doit nous inciter à ne pas nous contenter de cette explication, sauf à faire la démonstration qu’elles ne sont fondamentalement pas très différentes des entreprises capitalistes, ce qui serait un peu court. Si l’on veut approfondir un peu la réflexion, rappelons tout d’abord les termes de l’équation. Soit, d’une part une entreprise de l’économie sociale, censée se conformer au principe « un homme/une voix ». Ce principe s’applique d’abord et avant tout aux associés. Cette entreprise cherche à étendre ce principe à une autre catégorie d’acteurs de l’entreprise de l’économie sociale, au quatrième pôle du quadrilatère de Desroche[2] : les employés. Soit, d’autre part, une organisation syndicale, dont la vocation est défendre le droit des salariés, et que l’on peut, par ailleurs, considérer elle-même comme une organisation de l’économie sociale. Elle est saisie, par la direction d’une entreprise de l’économie sociale, d’une proposition de s’associer à la mise en œuvre d’une démarche participative. Elle refuse cette proposition, qu’elle dénonce même par voie de tracts à l’ensemble des salariés de l’entreprise.
Pour qui a été témoin de ce genre de situation, le premier élément qui saute aux yeux, c’est l’absence totale d’un acteur de marque, l’économie sociale, comme terrain conceptuel commun aux relations entre ces deux catégories d’acteurs. Lesquels se retrouvent, du coup, dans la situation familière d’opposition, banale dans les entreprises classique. L’hypothèse selon laquelle les entreprises de l’économie sociale ne sont pas si différentes des autres serait donc plutôt confirmée. À ceci près que, précisément, c’est à mon sens parce que l’économie sociale n’est pas convoquée comme ambition commune et qu’elle est absente de tout projet de management, qu’elle ne peut jouer un rôle actif. Autrement dit, les seules caractéristiques juridiques de l’économie sociale ne suffisent pas pour que s’expriment ses potentiels de changement ; il est nécessaire d’activer ces potentiels. C’est, à ce stade, l’hypothèse que je formule.
Autre exemple, celui d’une grosse association caritative non confessionnelle qui, jusqu’aux années 2000, refusait de reconnaître des droits spécifiques aux salariés. Ce refus, davantage assumé et explicité que dans la plupart des autres grosses associations du champ, est en filiation directe avec l’option d’un rejet radical de toute domination d’une technostructure.
Cette association a en effet poussé très loin la formalisation du modèle bénévole et son refus de la domination d’une quelconque technostructure. Elle est par exemple l’une de celles qui ont obtenu du Conseil d’État une dérogation lui permettant de fusionner les fonctions de direction technique et celles de direction politique : les principaux dirigeants du siège sont en même temps élus du CA ou du bureau.
Comment se porte la démocratie sociale dans une telle organisation ? Si on l’observe dans son approche propre à l’économie sociale, c’est-à-dire au travers du sociétariat, alors ce modèle est particulièrement avancé. Et l’on peut considérer que la dérogation obtenue de la part du Conseil d’État valide une avancée sociale. Si on l’observe dans une approche plus classique, celles du droit des salariés, alors le management de cette association est très en retrait par rapport au droit du travail. Et cette analyse, sous la pression des salariés, commence à trouver sa place dans la structure.
Dérive ou cohérence ?
Massivement, les constats critiques adoptent des formules du type « dérive », « contradiction », « incohérence ». Si cette explication est pertinente, quelle serait la source de ces récurrentes dérives ? Un management parfois calamiteux et des compétences souvent insuffisantes forment certainement une partie de la réponse… mais nous renvoient en boomerang à une nouvelle question: pourquoi ces insuffisances ?
J’ai voulu aller chercher du côté de la genèse de l’économie sociale des éléments de compréhension, en m’interrogeant sur ce qu’elle disait alors de la démocratie sociale.
Production et utilité sociale vs répartition et justice sociale
L’économie sociale a souvent été présentée par ses premiers théoriciens comme une forme particulière d’économie politique dont elle a dû se distinguer avant de pouvoir exister. « Pour distinguer les deux sciences », dit Charles Gide, « on pourrait, comme l’a déjà fait Léon Walras, définir l’Économie politique, la science de l’utilité sociale et l’Économie sociale la science de la justice sociale »[3]. Et pour aller plus loin, Gide considère que l’« utilité sociale a plutôt sa place dans la production et la justice sociale dans la répartition »[4]. Cette distinction et l’importance accordée à la consommation par les théoriciens de l’économie sociale à ses débuts, pourraient constituer une piste féconde pour expliquer le faible enjeu de transformation sociale représenté par la situation de production et, par voie de conséquence, le faible intérêt manifesté pour la démocratie sociale dans le fonctionnement des organisations de l’économie sociale.
Coopérative de production et coopérative de consommation
Dans un discours prononcé en 1889[5], Gide revient sur « la coopération dans la production » en affirmant que, si « le but final du programme des sociétés coopératives de consommation, c’est bien la production », elle ne passe pas nécessairement, par « la fondation d’associations coopératives de production ». Gide justifie cette option par le constat d’une « insuffisance de l’association de production, en tant qu’association indépendante et autonome ». Cette insuffisance s’explique, selon lui, de deux manières : la première, c’est que les associations coopératives de production ont échoué dans leur ambition d’émancipation, créant en fait des « associations de petits patrons » employant à leur tour des ouvriers ; la seconde est plus fondamentale puisqu’elle considère que l’association de producteurs débouche nécessairement sur une « corporation professionnelle », faisant prédominer « ses intérêts particuliers sur l’intérêt général ». Sur ce dernier plan, précisément, Gide considère que « l’association de consommation » n’entre pas dans cette logique corporative « parce qu’elle représente les intérêts de tout le monde ». Et cette analyse inspire à Gide une préconisation stratégique générale : l’ambition de l’économie sociale devrait être de faire passer « les instruments de production et de l’outillage économique [...] entre les mains des associations de consommation ». Un peu plus tard[6], Gide affinera et complètera son propos. Il constate que la Chambre consultative des associations de production, « gardienne de l’idéal coopératif » aide l’association coopérative à ne pas dériver vers la « petite association patronale conservant les pratiques capitalistes ». Mais il maintient que, « la consommation restant l’acte économique suprême, le but final vers lequel tout converge, tandis que la production n’est qu’un moyen – un moyen de satisfaire notre consommation », c’est sur ce champ que la coopération doit chercher à installer son hégémonie.
Abolition du salariat, réduction de la subordination par le travail
En phase avec la majorité des acteurs sociaux de l’époque, l’économie sociale naissante lie le progrès social qu’elle ambitionnait d’apporter, dans le traitement de la question sociale, à l’abolition du salariat. Plus précisément, Charles Gide analyse les statistiques des mouvements de grève dans différents pays européens comme emblématiques de trois objectifs successivement poursuivis par « l’ouvrier pour améliorer son sort » : « l’augmentation du salaire » pour « obtenir plus de bien-être » ; un « accroissement de sa liberté et de ses loisirs par la réduction de la journée de travail » ; une défense de son « indépendance et de sa dignité d’homme » par l’obtention d’une « part dans la direction ou [...] dans le contrôle des entreprises »[7]. Or pour Gide, les quatre grands champs d’action des « institutions du progrès social », à laquelle l’économie sociale est censée apporter une avancée décisive, sont précisément : les « salaires » ; le « confort » ; la « sécurité » ; « l’indépendance ». Ce dernier champ entend décrire toutes les institutions favorables au statut de « producteur indépendant », qui peut gagner sa vie « sans employer de salariés et sans l’être lui-même ». « Cette indépendance », affirme Charles Gide, « est souhaitée par tous les hommes » et singulièrement par les ouvriers, maintenus par le salaire « dans une situation dépendante ». L’une des caractéristiques positives des institutions du progrès social dont il établit une recension précise, est qu’elles contribuent à cette indépendance par une remise en cause, fût-elle partielle, du salariat. Autrement dit, l’économie sociale naissante reprenant à son compte l’objectif d’abolition du salariat, ne prépare pas le terrain pour faire du salariat un champ d’expression du progrès social
Des traces dans la pensée de l’économie sociale contemporaine
On trouve des traces de cette genèse dans l’économie sociale contemporaine. Le résumé d’une communication rédigée à propos des rapports entre démocratie sociale et économie sociale[8] indique clairement que « l’économie sociale se conçoit comme un champ privilégié d’application de la démocratie sociale, fondée sur le sociétariat ». Les auteurs rappellent que l’économie sociale trouve son originalité dans le rapport qu’elle établit « à la propriété du capital » et que le sociétariat « est défini par la double qualité de propriétaire et d’usager ». Et ils proposent par ailleurs une définition de la démocratie sociale très orientée, puisqu’elle équivaut en fait à la « gouvernance démocratique » caractéristique des entreprises de l’économie sociale, gouvernance elle-même assise sur les principes de l’économie sociale de non-lucrativité, de libre-adhésion et de participation. Pour les auteurs, le sociétariat est donc le concept clé de l’économie sociale, celui qui permet l’élégante fusion entre la nature même de l’économie sociale et le concept de démocratie sociale. Sans entrer davantage dans l’analyse développée, on ne peut manquer d’être frappé par ceci : la démocratie sociale ne s’applique donc pas aux salariés des entreprises de l’économie sociale. Ceci s’explique en fait parfaitement par une analyse qui fait de ces derniers essentiellement des représentants d’une technostructure centralisée affaiblissant potentiellement le sociétariat : des évolutions juridiques associés à l’influence de la libéralisation marchande auraient, pour les auteurs, conduit les entreprises de l’économie sociale à des formes de « concentration industrielle et à un remplacement des relations d’usagers par des rapports de clientèle, aussi bien dans les mouvements coopératifs et mutualistes que dans les grandes fédérations associatives »[9]. Nous voilà donc face à une lecture critique de l’économie sociale contemporaine, qui associe sa dérive « industrielle » au poids grandissant de la technostructure.
De cette encore trop brève incursion dans la genèse de l’économie sociale, on peut tirer les prémisses d’une hypothèse selon laquelle les pratiques de management parfois peu favorables aux salariés ne marqueraient pas une contradiction avec les valeurs de l’économie sociale mais s’inscriraient en pleine cohérence avec les positions historiques de ce mouvement social.
La question démocratique : supplément d’âme ou épicentre ?
Ce détour effectué, il est temps de revenir à notre constat initial et à un commentaire fait au cours de la séance de mars : les pratiques des entreprises de l’économie sociale en matière de GRH sont souvent consternantes, elles n’ont donc pas de leçons à donner en la matière et, en tout état de cause, ce n’est pas dans ce champ qu’on attend leur plus-value mais bien dans la production d’un service de qualité, fourni à un coût moindre. Cette analyse a deux caractéristiques : elle considère la question démocratique comme non déterminante au sein du management de entreprises de l’ES ; elle est en phase, d’une certaine façon avec la position historique de l’économie sociale privilégiant la consommation sur la production. Pourtant, dira-t-on, les entreprises dont parlent bon nombre de participants aux séances de l’Institut Polanyi produisent bien un service, social en l’occurrence. Où se situerait donc l’héritage de l’histoire ? À mon sens, il réside dans une attention portée essentiellement au service rendu à des usagers et, plus largement, à une société dans laquelle vivent ces usagers, davantage qu’aux conditions de production de ce service. L’innovation, le progrès social apporté par l’entreprise de l’économie sociale est donc externe plutôt qu’interne.
Prolongeant cette lecture de l’économie social et, singulièrement, des entreprises de l’économie sociale, on a pu entendre que la question de l’organisation était en fait un facteur neutre. La boucle est ainsi bouclée : la question de la démocratie sociale ne serait donc pas secondaire en elle-même, elle le serait dans la mesure où la question de l’organisation ne serait pas déterminante dans le monde de l’économie sociale. Encore une fois, cette position n’est pas sans cohérence avec une certaine histoire de l’économie sociale. Est-elle, en revanche, compatible avec une perspective de développement et de renouvellement de l’économie sociale ? Je ne le pense pas et je voudrais, très sommairement, ouvrir deux pistes pour étayer ma position.
La question démocratique dans l’économie sociale : question ouverte ou fermée ?
D’entrée de jeu, l’Institut Polanyi a fortement articulé économie sociale et question démocratique et je me sens parfaitement en accord avec cette lecture. Or, cela a été dit très clairement par plusieurs intervenants (je pense en particulier à Alain Caillé et à Serge Depaquit), les fondements du modèle démocratique sont aujourd’hui rudement questionnés, et peut-être tout particulièrement la version républicaine dont s’est dotée la société française. Pourquoi cela ? À mon sens parce que cette version a poussé très loin la spécialisation du politique comme unique creuset de la démocratie. Il me semble que l’une des facettes de la crise du modèle démocratique réside dans sa capacité à prendre au sérieux le fait que la « radicalisation » démocratique passe par un élargissement des fondements de la démocratie à d’autres sphères que celle du politique, et notamment à celle de l’économie[10]. Ce qui n’est pas très original puisque c’est précisément l’ambition portée par le concept de démocratie sociale et par l’économie sociale tout entière…
Précisément, il est sans doute temps que l’économie sociale procède à sa propre « radicalisation démocratique », en considérant qu’elle ne peut exclure le fonctionnement de ses organisations de son ambition démocratique générale.
Les entreprises de l’économie sociale : quel mieux-disant démocratique dans la pensée de l’entreprise ?
La sociologie des organisations propose désormais des analyses de l’entreprise comme système social, qui ouvrent des espaces d’accueil sociologiques au concept politique, juridique et réglementaire de démocratie sociale, d’une part, et donnent quelques argument à la notion de « responsabilité sociale des entreprises » en aidant à la pensée de l’enchâssement de l’entreprise en société, d’autre part[11].
Ces analyses ne prétendent certes pas que toutes les entreprises sont ou même peuvent être des foyers ardents de la démocratie, mais elles fournissent des clés de lecture stimulantes en faveur de cette contamination démocratique de la sphère de l’économique.
Quelle est et quelle pourrait être la contribution de l’économie sociale à ce mouvement ? Très curieusement, elle est à la fois très importante, si l’on prend en considération certaines coopératives qui ont poussé très loin la radicalisation du modèle démocratique (tous les salariés sont obligatoirement associés ; toutes les décisions sont collégiales…), et très faible si l’on reprend le constat établi au début de cette note.
Mais, au total, on doit considérer que cette contribution est faible dans la mesure où l’innovation statutaire (les coopératives) ne fait pas de la question démocratique dans les entreprises une ambition de la démocratie sociale, voire pas même une pensée.
Il reste donc, à mon sens, de vastes espaces à explorer pour que l’économie sociale soit effectivement une source d’innovation dans le champ de la démocratie sociale, ce en quoi elle rendrait certainement un service à la société et renforcerait les conditions de son développement…
[1] Aujourd’hui disparu, et dont les activités ont été reprises par UNIFORMATION
[2] Henri Desroche, Le projet coopératif, Éditions Économie et humanisme-Les Éditions ouvrières/Développement et civilisations, Paris, 1976, p. 334 et suivantes.
[3] Charles Gide, Les institutions de progrès social, L’Harmattan/Les œuvres de Charles Gide, Paris 2007, p. 57.
[4] ibid, p. 57.
[5] Charles Gide, « De la coopération et des transformations quelle est appelée à réaliser dans l’ordre économique », Discours d’ouverture du Congrès international des Sociétés coopératives de consommation, Paris, 8 septembre 1889, pendant l’Exposition universelle. Publié dans le compte-rendu officiel du Congrès.
[6] Dans un article publié en mars 1902 dans l’Association coopérative, journal commun à la Chambre consultative des associations de production et aux coopératives de consommation, cité in Charles Gide, Coopération et économie sociale – 1886-1904, L’Harmattan/Comité pour l’édition des œuvres de Charles Gide, Paris, 2001, p. 329.
[7] Charles Gide, Les institutions de progrès social, L’Harmattan/Les œuvres de Charles Gide, Paris 2007, p .91.
[8] Jean-Robert Alcaras, Patrick Gianfaldoni, Martine Le Friant, Valérie Ogier-Bernaud, « Économie sociale et démocratie sociale : le sociétariat en question », in Cécile Boureau-Dubois, Bruno Jeandidier (dir), Économie sociale et droit – Tome 2, XXVIe Journées de l’Association d’Économie sociale, Nancy, 7 et 8 septembre 2006, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 7-20.
[9] Op. cit, p. 8.
[10] J’emprunte les concepts de « démocratie radicale » à Jürgen Habermas (Droit et démocratie) et de sphères dans la société à Michael Walzer (Sphères de justice).
[11] Renaud Sainsaulieu, notamment Sociologie de l’entreprise et L’entreprise, une affaire de société (dir).
Photo : Playtime, Jacques Tati.