Écrit par Serge Depaquit
La place du citoyen ne serait-elle pas la grande oubliée des débats actuels sur le Grand Paris ? Alors que les conséquences sociales et environnementales de ce projet seront vraisemblablement de grande ampleur, et que ses chances de succès reposent sur son appropriation citoyenne, ni les processus de décision, ni la gouvernance future du Grand Paris ne font réellement place à l’expression de la société civile. Il y aurait là, pourtant, matière à développer des démarches innovantes, et à concourir au renouvellement de notre démocratie.
Le citoyen sera-t-il observateur ou acteur de la mise en dynamique du projet Grand Paris ? Force est de constater que la question n’est pratiquement jamais posée en dépit de l’existence de très nombreuses contributions consacrées aux enjeux d’un tel projet. Pourtant les conséquences sociales et environnementales d’une telle mutation urbaine seront extrêmement prégnantes sur la vie de chacun, aussi sommes-nous confrontés à un choix démocratique majeur : définir les espaces publics susceptibles de permettre l’expression d’une parole citoyenne. Il est vrai que l’échelle territoriale concernée implique de sortir des idées reçues en matière de démocratie dite participative qui ne trouverait ses moyens de réalisation qu’à l’échelle de la proximité territoriale.
La démocratie est aujourd’hui confrontée à l’éclatement des lieux de la décision dans l’emboîtement des échelles territoriales, ce qui suppose de repenser les moyens de sa réalisation. A l’emboîtement territorial doivent correspondre des citoyennetés emboîtées, les forums sociaux en sont d’ailleurs une des formes d’existence. La notion de proximité ne saurait se réduire à la proximité de terrain. Nombre de questions qui ne relèvent pas de celle-ci sont cependant vécues comme très proches des préoccupations de chacun, la crise mondiale actuelle en fournit d’ailleurs de nombreux exemples. Un imaginaire collectif porteur d’une proximité d’intérêt relative aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux a pris corps à travers les mutations du monde actuel, la place médiatique prise par les mobilisations alter mondialistes en est le plus vivant exemple.
Démocratiser la décisison
Telle est bien la question cruciale qui émerge de la crise actuelle de la pratique démocratique. La prise de distance avec la participation électorale d’une fraction importante du corps social, notamment dans les couches populaires (39% d’abstention lors des récentes municipales dans les communes de plus de 3500 habitants), témoignent de l’urgence d’un profond renouvellement démocratique. Le débat autour du Grand Paris pourrait être l’occasion d’un certain nombre de démarches innovantes posant clairement la question de la place et du rôle du citoyen dans l’élaboration d’une réforme urbaine de grande ampleur.
Il est certain qu’on ne s’approprie un territoire qu’à condition que celui-ci soit porteur d’intérêts communs construits et reconnus par l’usage du temps ; nous n’en sommes réellement pas là en ce qui concerne le Grand Paris, aussi faut-il poser autrement la question de l’émergence d’une appropriation citoyenne des enjeux. C’est à l’étape actuelle le débat autour des contenus sociaux et culturels que peut se construire ce nécessaire lien civique.
Le fait que le débat politique autour du Grand Paris commence à occuper la scène publique contribue certes à susciter les questionnements, mais l’espace public nécessaire au débat ne prendra corps qu’avec l’expression des enjeux d’une dynamique de changement social liée à la perspective du projet. A cet égard la proposition de la tenue d’un « forum social Paris Metro » devrait être largement soutenue pour devenir une étape majeure du débat démocratique. Une première urgence consiste en effet à développer la coopération entre tous les acteurs de la société civile (associations, syndicats, etc.) afin que se précisent les enjeux susceptibles de donner sens à la perspective du Grand Paris.
Il devrait être évident qu’on ne construira pas avec succès un projet aussi vaste et aux conséquences aussi fortes sur la vie de chacun sans que ces légitimités citoyennes soient quelque part intégrées au processus décisionnel du Grand Paris. La société civile, forte de son indépendance, possède en effet une capacité d’approche et de mobilisation du corps social qui sont essentiels à la qualité de l’action publique.
Plusieurs initiatives en ce sens pourraient être rassemblées dans une boîte à idées collective. Ainsi serait-il possible d’établir un ensemble de constats, questionnements et suggestions compréhensibles par tous. Une telle démarche devrait s’appuyer sur la diversité des formes d’expression locales de la citoyenneté active : groupes locaux du mouvement social, associations, conseils de quartiers, conseils locaux inter associatifs, conseils de développement, etc. A partir de là des axes d’action portant sur des points essentiels pourraient être largement diffusés et mis en oeuvre afin de contribuer à l’animation de l’espace public.
Une telle démarche d’origine citoyenne devrait également s’adresser aux collectivités locales parties prenantes du projet Grand Paris afin qu’elles prennent des initiatives en faveur du débat démocratique.
Une initiative plus large pourrait même être envisagée qui consisterait à organiser une enquête participative adressée à l’ensemble des foyers concernés par le projet Grand Paris. Une telle enquête, compte tenu de son ampleur, devrait être organisée sur la base d’une coopération société civile/collectivités locales.
La mise en œuvre d’une véritable perspective de développement durable à l’échelle métropolitaine est aujourd’hui l’un des enjeux majeurs du projet Grand Paris. A cet égard c’est aussi bien dans une vision d’ensemble que dans les contenus des actions publiques que réside la clé du succès. On ne saurait en même temps concevoir le développement durable comme une affaire centrée sur le pilotage managerial. Sans une profonde compréhension dans des secteurs importants du corps social, le développement durable risque de ne constituer que la coquille vide des effets d’annonce. Développement durable et démocratie sont intimement liés et l’un n’existe pas sans l’autre pour ne fonder globalement qu’une seule démarche.
En ce sens, les agendas 21 peuvent constituer des instruments utiles parce qu’ils supposent à la fois le débat sur la transversalité des actions et l’apport de l’implication citoyenne. Des agendas 21 à diverses échelles territoriales (intercommunalités diverses et métropole) seraient certainement à mettre en œuvre dans le cadre d’une cohérence globale liée à la perspective du Grand Paris.
Au-delà de la multiplicité des champs et des opportunités d’actions, le mouvement social et citoyen doit être l’un des acteurs essentiels de la co- construction des actions publiques et de la mise en dynamique des futurs grands espaces urbains. Encore convient-il de s’en donner les moyens.
Commencer à penser une future gouvernance du Grand Paris
Donner un contenu démocratique à la réflexion collective consacrée à l’élaboration du projet Grand Paris, c’est également dégager les prémisses de ce que pourrait être une gouvernance démocratique d’une telle entité.
Construire du lien politique c’est, au-delà des banalités de la démocratie participative, poser la question de la place du citoyen en regard de l’élaboration et de la mise en œuvre de l’action publique, donc de la conception que l’on a des processus qui conduisent à la décision. On sait (même si on le nie) que celle-ci est aujourd’hui un processus complexe de division de la décision, et le projet du Grand Paris en sera par la force des choses un exemple indiscutable. Quelle est alors la place du citoyen dans ces processus liés à la décision ? Il en va non seulement de la réalité de la pratique démocratique, mais également, et c’est rarement souligné, de l’efficacité de l’action publique. Le cas du grand Paris est à cet égard un terrain d’exercice remarquable et qui pose dans ses conséquences l’idée que l’on se fait de la réalisation du principe de souveraineté populaire dans un monde complexe, structuré par l’emboîtement des échelles territoriales et donc des lieux de la décision. La gouvernance des grands ensembles urbains ne pourra pas se limiter sur le plan démocratique à l’écoute dans des conseils de quartiers plus ou moins cantonnés à des préoccupations localistes. D’autres « outils démocratiques » existant ou à imaginer peuvent mieux correspondre au changement d’échelle, mais à condition que ceux-ci fassent système dans le cadre de processus conduisant à la décision.
On songe par exemple à l’existence de dispositifs d’évaluation démocratique conçus eux aussi en termes de processus (ex ante, ex tempere, ex post) pluralistes impliquant les acteurs de la société civile. De tels dispositifs peuvent être essentiels à la construction du jugement public si nécessaire à l’exercice démocratique. Des initiatives comme les conférences de citoyens dont la démarche et les acquis progressifs devraient être largement à diffuser peuvent également constituer de temps propres de la construction de la décision. La pratique des budgets participatifs, importante dans la phase gestion d’une métropole, pourrait dès maintenant constituer une perspective à débattre, voire même être esquissée autour des orientations financières futures du Grand Paris. Les conseils de quartier devraient également voir leur fonction précisée, par exemple autour de thèmes essentiels à l’échelle de la métropole comme les solidarités sociales, les transports, etc.
La citoyenneté à l’échelle des grands regroupements urbains exigera plus que jamais la pratique des fonctionnements en réseaux seuls susceptibles de construire les synergies nécessaires entre acteurs de la société civile et ceci quelle que soit la taille de chacun. On peut en effet penser au-delà du micro, même si l’on est d’implantation très locale, mais à condition de ne pas demeurer isolé. Il se peut sans doute que la conception traditionnelle du réseau doive être à cet égard revisité.
L’affaire du Grand Paris offre un terrain à explorer permettant ainsi de mieux comprendre les enjeux actuels du renouvellement de la démocratie, ce qui devrait être plus que stimulant.
Serge Depaquit est vice-président de l’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale (ADELS)