Écrit par Madeleine Rebérioux
Dans cet article très dense d’une grande historienne du mouvement ouvrier, l’analyse du premier congrès des sociétés de secours mutuels, à Lyon en 1883, se transforme en exposé magistral des enjeux politiques et sociaux de la Troisième République naissante.
Sont principalement présentes au congrès les sociétés dites « approuvées » : créées sous le Second Empire, par le décret du 26 mars 1852, elles ne sont plus sous la tutelle directe de l’État, puisque la République leur a reconnu le droit de désigner elles-mêmes leurs présidents. Toutefois, contrairement aux sociétés qui ont refusé le décret (dites « autorisées »), et qui n’ont pas été invitées au congrès, les sociétés « approuvées » bénéficient d’avantages divers, et notamment de subventions, pour autant qu’elles ne versent pas de secours de chômage, et donc ne constituent pas de caisses de grève. La présence massive des sociétés « approuvées » donne une tonalité interclassiste au congrès, attestant que les professions libérales et les notables ont déjà pris solidement place au sein des sociétés de secours mutuels. Le débat aura donc lieu largement hors du monde ouvrier, ou du moins de sa frange organisée. Il sera occupé par l’affrontement entre une version d’entraide à fondement religieux entre riches et pauvres, et une version d’adhésion aux principes de liberté et à la République (et à la « prévoyance », que l’on préfère au « secours »). Les républicains remporteront le Congrès, et le Congrès prélude la grande charte de la mutualité de 1898. Mais en 1883, l’urgence politique n’est pas aux sociétés de secours mutuels, mais à la liberté syndicale, qui sera votée un an plus tard : la mutualité patronnée a rendu les ouvriers désireux de « faire leurs affaires eux-mêmes » méfiants envers les sociétés de secours mutuel, les chambres syndicales sont tolérées depuis la fin des années 1860, et les premières ébauches de parti ouvrier naissent en symbiose avec elles.
Cet article est paru dans Prévenir, n°9, mai 1984, p. 75-85.
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