La loi Hamon conduit à insérer un peu mieux, un peu plus, l’ESS dans le marché

Tribune Libre rédigée par Jean Sammut

Publiée dans le dossier « Rendez-vous de l’économie sociale et solidaire » de l’Humanité du 1er octobre.

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Si elle reste en l’état, la loi Hamon, sur l’économie sociale et solidaire (ESS), qui sera mise en débat au Sénat en ce mois n’est pas une bonne loi. Certes, il y a quelques points positifs. Les articles renforçant le mouvement coopératif et la reprise d’entreprises par les salariés représentent une avancée. Il ne faut pas mésestimer non plus l’intérêt, l’utilité même, pour les acteurs de l’ESS, de mesures techniques qui étaient « dans les tuyaux » et auraient été plus ou moins reprises par n’importe quel gouvernement.

Mais la question posée à ce gouvernement et à la gauche était d’une autre nature. Avec une loi sur l’ESS, ne pouvait-on espérer les moyens d’avancées significatives dans la démocratisation de l’économie?

Cette loi n’était-elle pas l’occasion inespérée de manifester un choix clair sur la société que nous voulons? Se donner les moyens de lutter contre une société (où se coulent certains acteurs de l’ESS) marquée tout entière par l’idéologie de marché? Au lieu de cela, cette loi conduit à insérer un peu mieux, voire un peu plus, l’ESS dans le marché.

Si on s’en tient au sujet mutualiste, la situation est la suivante: aujourd’hui, 623 mutuelles sont actives et agréées pour exercer une activité dite d’assurance, tandis que l’on en dénombrait 6000 dans les années 1990.

Parmi elles, 550 font un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. Il s’agit de mutuelles territoriales ou professionnelles qui gardent un lien direct avec leurs adhérents. Seules une vingtaine de mutuelles font aujourd’hui un chiffre d’affaires supérieur à 120 millions d’euros. Les articles concernant directement la mutualité, dans la loi, sont rédigés pour celles qui, parmi cette vingtaine, ont l’ambition de devenir de « grands opérateurs de marché » et n’ont d’autre objectif que d’obtenir un droit qui singe celui des assurances.

On s’en tiendra ici à un seul exemple: la modification de l’article L. 114-17 qui suspend le rôle de l’assemblée générale dans la fixation des montants des cotisations et des prestations au profit du conseil d’administration, voire, dans le cadre d’une délégation, du seul président. Cette disposition, totalement passée inaperçue, conforte l’idée d’une technocratisation croissante des mutuelles et supprime, de facto, ce qui constitue la base de la vie mutualiste: décider démocratiquement de la nature et du niveau des prestations, c’est-à-dire décider des solidarités. Pour le reste,  chaque article est conçu pour permettre l’entrée des assurances privées dans le champ mutualiste. À l’inverse, rien n’apparaît sur la démocratie mutualiste, sur d’éventuels droits pour les élus mutualistes qui, pourtant, sont par ailleurs contraints de se donner les moyens d’être « compétents », au risque d’être rejetés par l’autorité de contrôle. On aurait pu espérer que ce projet de loi s’intéresse un peu plus à la réalité mutualiste, notamment en faisant en sorte que le seuil d’application de Solvabilité II (la norme prudentielle)  soit relevé de façon significative afin de permettre la survie et le développement de structures mutualistes à taille humaine, réellement proches de leurs adhérents, c’est-à-dire en prise avec la réalité territoriale et créatrices d’emplois. À l’évidence, ce projet de loi manifeste plus d’intérêt pour le développement des sociétés de droit privé dites à lucrativité limitée, que pour le maintien ou le développement des structures mutualistes de proximité. Depuis trente ans, la même contradiction perdure entre une mutualité centrée sur la gestion et une mutualité démocratique, certes de gestion mais aussi d’action, qui aurait pour vocation de mettre en œuvre des solidarités concrètes. Une mutualité qui pèserait, par ses réalisations, sur l’offre sanitaire et l’organisation de la santé au niveau des territoires. La contradiction perdure finalement entre, d’un côté, une mutualité inscrite dans l’économie de marché de façon plus ou moins sociale et, de l’autre, une mutualité qui n’ignore rien des contraintes du marché, mais qui fait de sa nature de mouvement social démocratique, un moyen d’intervention dans la société. Si les mutualistes veulent retrouver leur voie, il leur faut faire un choix et donner de la voix sur leurs revendications démocratiques propres.

Pour visualiser le dossier complet ESS paru sur le site de l’humanité le 1er octobre 2013