L’émergence de nouvelles politiques locales : le cas de Rome

Écrit par Alessandro Messina, Els Reynaert

Un témoignage d’acteurs, à propos d’Autopromozione Sociale, expérience socio-économique innovante dans la ville de Rome.

Cette conférence a été prononcée dans le cadre de l’Université populaire et citoyenne de Paris, le 25 juin 2007, autour du thème : « Reconfigurer les rapports entre économie et solidarité : associations, coopératives et entreprises sociales ».

1. Une politique économique de proximité

Les nouvelles politiques locales de la ville de Rome reposent en partie sur la loi 266/1997. L’article 14 de cette loi nationale, introduite en Italie en 1997 par le Ministère de l’Industrie (maintenant Ministero delle Attività Produttive), prévoit le financement d’interventions pour le développement entrepreneurial dans les zones défavorisées des grandes villes, dans le but de combattre la dégradation urbaine et sociale. Les fonds alloués par le Ministère sont gérés par les dix grandes villes italiennes (Bari, Bologne, Cagliari, Florence, Gênes, Milan, Naples, Rome, Turin, Venise). C’est un cas important de collaboration entre le niveau national et le niveau local, mettant en place une « politique économique de proximité » inédite.

Rome bénéficie d’environ un tiers du budget national annuel. Autopromozione Sociale, la cinquième unité opérationnelle du Département XIX – Recupero e Sviluppo delle periferie – Assessorato alle Politiche per le Periferie, lo Sviluppo Locale e il Lavoro de la Mairie de Rome, est responsable de la gestion de ces fonds. Sa mission est de stimuler un développement urbain durable respectueux de l’homme et de l’environnement, avec un focus sur les entreprises de « l’Autre Économie », et à partir des interventions de requalification des périphéries.

Autopromozione Sociale a ainsi géré depuis 1999 un budget d’environ 75 millions €, avec lequel elle a activé des financements aux entreprises et à un réseau de support pour promouvoir la création d’entreprises dans les périphéries de la ville. Plus de 800 entreprises ont été sélectionnées, créant un potentiel de 3500 nouveaux emplois.

2. Le développement local à Rome : les huit axes d’une stratégie systémique

Autopromozione Sociale a construit un modèle original de développement local (un « work in progress », encore en pleine évolution) capable de faire naître et de consolider des petites entreprises qui puissent, par leur présence, revitaliser le territoire. Ainsi, un système complexe a été développé, avec non seulement des financements directs aux entreprises, mais aussi la construction d’un réseau de support, d’animation et d’information pour stimuler le développement social (d’abord) et économique, tout en tenant compte des principes de la responsabilité écologique et sociale.

Nous pouvons identifier huit axes dans cette stratégie dynamique : l’animation sociale ; une approche intégrée ; les instruments techniques-économiques ; les incubateurs d’entreprises ; l’accès au crédit ; des filières privilégiées ; l’orientation à la responsabilité sociale de l’entreprise ; l’approche de proximité.

- Animation sociale

« On ne peut pas construire un paradis économique sur un cimetière social ». On ne pourra jamais devenir des entrepreneurs si on ne se sent pas même entreprenant. On ne va pas investir dans un projet d’entreprise si l’on n’a pas confiance dans la communauté où on veut réaliser le projet. Pour cela, le premier axe de la stratégie de Autopromozione Sociale est l’animation sociale. Six pôles d’animation sociale facilitent des parcours « d’empowerment » et stimulent l’esprit entrepreneurial dans des quartiers en difficultés par des initiatives récréatives, d’agrégation et de participation.

- Une approche de politiques intégrées

Les chances de succès des interventions économiques sont plus grandes quand elles sont intégrées dans des stratégies et des actions plus larges, qui ont pour but la requalification urbaine, sociale ou environnementale. Ainsi, les interventions de Autopromozione Sociale s’associent souvent avec les contrats de quartier ou la requalification des places urbaines.

- Les instruments technico-économiques

Développer une entreprise est une activité complexe qui demande beaucoup de talents, de capacités et d’habilités techniques. Il est donc très important d’offrir aux (aspirants) entrepreneurs des services d’orientation, de formation, d’accompagnement, de conseil et d’assistance technique. Pour cela deux Centres de services ont été créés, ainsi qu’un guichet spécifique pour stimuler l’entrepreneuriat des migrants à Rome.

- Les incubateurs (couveuses, pépinières) d’entreprises : accumulateurs de projets

Les incubateurs d’entreprises sont des structures d’appui et d’accueil pour les jeunes créateurs d’entreprise. Ils assurent l’hébergement, un accompagnement et des services. Il y a cinq incubateurs :

  • Incipit, incubateur de Corviale: actif depuis 2002, il s’attache au développement du quartier de Corviale, et peut héberger jusqu’à 10 entreprises actives dans des secteurs divers;
  • Start, incubateur pour le secteur de l’audiovisuel et du multimédia; actif depuis 2003, il peut héberger jusqu’à 6 entreprises;
  • InVerso, incubateur pour les entreprises sociales: actif depuis début 2006, il peut héberger jusqu’à 15 entreprisesdans sa structure de 1000 m2;
  • Play!, incubateur pour les entreprises du spectacle: théâtre, danse, musique, évènements culturels et récréatifs…
  • Oss, incubateur pour les entreprise ICT Open Source: actif depuis début 2007, il peut héberger jusqu’à huit entreprises qui travaillent dans le secteur du «free software».

- Accès au crédit

Pour faciliter l’accès au crédit des petites entreprises, Autopromoziones Sociale a activé des fonds de garantie avec deux banques : Banca di Credito Cooperativa di Roma et Banca Popolare Etica.

- Des filières privilégiées

Des financements ont été organisés pour des secteurs spécifiques, en tenant compte des exigences du territoire :

  • les artisans du centre;
  • la création de librairies hors les murs;
  • le développement d’entreprises vertes;
  • les entreprises de récréation;
  • les entreprises de citoyens migrants.

- Orientation à la responsabilité

Le Conseil de Rome a décidé de stimuler les entreprises dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale. Pour atteindre cet objectif, différents types d’action ont été développées (voir plus le chapitre 3 pour plus de détails):

  • des critères préférentiels pour l’accès aux financements;
  • des structures d’appui, d’orientation, d’information et de formation;
  • la sensibilisation des citoyens;
  • des projets spécifiques.

Il est difficile de mesurer l’impact de cette stratégie, mais quelques indicateurs révèlent une évolution positive : 15% des petites entreprises financées s’engagent à évaluer l’impact social de leurs activités, différents magasins de commerce équitable ont été créés et un processus de transformation de produits d’agriculture biologique a été engagé.

- Une approche de proximité

Cet axe concerne le comment de l’intervention de l’administration communale. Autopromozione Sociale a choisi de développer des relations directes avec les entreprises et les citoyens. Ce choix n’est pas facile, parce qu’il faut combiner une fonction de contrôle avec une approche de partenariat. Mais c’est indispensable pour promouvoir un développement local durable, réellement ancré dans la communauté.

3. Politiques locales pour une autre économie

Voici quelques structures et projets qui ont été créés pour stimuler une culture de responsabilité socio-économique.

- InVerso, l’incubateur pour les entreprises sociales

InVerso offre un espace de 1000 m2 pour soutenir la création et le développement de nouvelles et jeunes entreprises sociales. Les entreprises peuvent s’installer dans l’incubateur pour une période d’au maximum 24 mois, ou être suivies en dehors de l’incubateur. Il y a 28 postes de travail équipés de la technologie informatique nécessaire. L’incubateur offre les services suivants :

  • Assistance de pré-incubation;
  • Secrétariat et réception;
  • Espaces logistiques (bureaux, salles de formation, salles de réunion);
  • Accompagnement en phase de lancement;
  • Conseils personnalisés pour le développement d’entreprises : juridiques, financiers, administratifs, de gestion, organisationnels, qualité, marketing social;
  • Networking interne et externe;
  • Séminaires de formation;
  • Assistance pour la localisation des activités après la période d’incubation.

Pour l’instant, il y a 13 entreprises dans l’incubateur, et 8 entreprises qui se sont associées. Elles appartiennent aux secteurs suivants : finance éthique (1), coopération sociale, services à les personnes (6), spectacle social (2), énergie renouvelable (2), réutilisation et recyclage (2), commerce équitable (3), tourisme responsable (4), associations de promotion sociale (1).

- RespEt, Centre pour l’entreprise éthique et responsable

RespEt est un point de référence sur le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise. Le centre accompagne les entreprises dans leur parcours de responsabilisation et offre information, formation, orientation et conseils de base. Avec un guichet d’information, des activités de sensibilisation, d’orientation, d’accompagnement et de recherche, l’organisation de séminaires, de formation et des conférences, RespEt sert à stimuler un échange permanent entre gouvernement local, entreprises, acteurs de l’autre économie et citoyens.

- Roma Responsabile, portail de documentation sur la responsabilité sociale des entreprises (www.romaresponsabile.it)

Ce portail piloté par la Chambre de commerce et la Mairie de Rome offre une documentation télématique sur le thème de la RSE, ainsi que des informations utiles pour stimuler une culture de RSE dans les entreprises.

- Città dell’Altra Economia

Le projet le plus significatif est la création, dans le centre de Rome, d’un espace permanent pour l’autre économie : « La Ville de l’Autre Economie », avec 3.500 m2 entièrement dédié à ce secteur. Un ancien abattoir a été restructuré pour devenir un point permanent de promotion, de networking, d’innovation et de consolidation pour les initiatives de l’Autre Economie : la commerce équitable, la finance éthique, l’agriculture biologique, le tourisme responsable, le free software, les énergies renouvelables, les pratiques de réutilisation et recyclage.

Le projet a été développé à partir du travail et des idées de plus de 50 organisations (Tavolo dell’Altra Economia), un débat constant entre les organisations et la Ville de Rome (un processus de 4 ans) et les ressources de Autopromozione sociale (5,5 Mln €).

L’inauguration de la Città dell’Altra Economia est prévue pour l’automne 2007.

- Master « Sviluppo Locale ed Economia Solidale »

Le Master « Développement Local et Économie Solidaire » a été développé en collaboration avec l’Université Roma La Sapienza et a vu sa première édition en janvier 2006. L’objectif du Master est de développer des compétences et savoir-faire dans le domaine du développement local durable et l’économie solidaire. C’est une formation multidisciplinaire avec des cours théoriques, des séminaires spécialisés et un stage de six mois. Les cours de la deuxième édition se tiennent dans l’incubateur InVerso, pour que le contact direct entre les étudiants et le monde de l’économie solidaire soit stimulé.
Conclusion

La Ville de Rome et Autopromozione Sociale ont choisi d’utiliser des interventions économiques pour réorienter l’économie vers un développement local durable et remettre l’économie au service de la société. Un programme complexe a été mis en place pour stimuler l’esprit d’entreprise, la création d’entreprises et le développement de l’autre économie, tout en développant une approche de proximité et une stratégie de politiques intégrées. Il y a encore un long chemin à faire et il faudra un monitorage et un processus d’amélioration constant. Un échange permanent avec d’autres villes qui se sont engagées de stimuler une « autre économie » sera certainement très utile.

Alessandro Messina, Els Reynaert, Comune di Roma. Assessorato alle Politiche per le Periferie, lo Sviluppo Locale e il Lavoro. Dipartimento XIX, V U.O. Autopromozione Sociale