Écrit par Samuel Sponem
Si l’évaluation n’est pas une pratique nouvelle dans le monde associatif, on constate que les enjeux qui lui sont liés ont tendance à croitre. Dans cette communication, je tenterai de réfléchir, à partir du livre dont discutons aujourd’hui, au potentiel démocratique des dispositifs d’évaluation. J’articulerai mon propos en deux temps. Dans un premier temps, je présenterai l’évaluation comme un dispositif central du management et j’en proposerai une déconstruction rapide. Dans un second temps, cette déconstruction me servira à discuter des effets de l’évaluation sur chacune des parties prenantes associatives et ainsi de réfléchir aux enjeux démocratiques de l’évaluation.
Préambule : gestion et management
Avant de traiter des caractéristiques de l’évaluation, je propose de dissocier la gestion du management. Si l’on peut parler de gestion dès qu’il y a nécessité de faire des choix dans la conduite d’une organisation, on peut dire que le management est un style de gestion possible parmi d’autres.
Le corpus du management (ses concepts et ses outils) s’est constitué dans les années 1920 dans les grandes entreprises multidivisionnelles américaines[1]. Pour Drucker, l’un de ses promoteurs et théoriciens les plus fameux, « l’émergence du management est un évènement central de l’histoire sociale qui en tant qu’organe de la société spécialement chargé de rendre les ressources productives, reflète l’esprit des temps modernes »[2]. C’est une « nouvelle technologie qui (…) a fait passer l’économie américaine au stade de l’économie d’entrepreneur, et qui est en train de faire de l’Amérique une société d’entrepreneurs »[3].
Le management s’est ensuite développé dans la plupart des pays et des grandes entreprises avant de toucher, d’abord dans les pays anglo-saxons, le secteur public et le secteur non lucratif (et notamment les secteurs de la santé et de l’éducation) dans le cadre de ce que l’on a appelé le Nouveau Management Publique. Le monde contemporain se caractérise ainsi par l’extension des dispositifs de management à tous les domaines de la vie sociale. Certains parlent à se sujet de managérialisme qu’ils définissent comme un « système de description, d’explication et d’interprétation du monde à partir des catégories de la gestion »[4].
L’évaluation comme dispositif de base du management
L’évaluation, telle qu’elle est promue aujourd’hui, est une notion centrale de cette manière de penser le monde à partir du management. On peut ainsi caractériser le management en tant que « corpus de pensée » par trois éléments[5] : l’importance donnée à la notion de performance ; l’importance prise par la rationalité instrumentale ; et le développement de dispositifs et de techniques sociales.
La performance comme critère du juste et du vrai
Parler de management, c’est d’abord mettre au cœur de la conduite des organisations la notion de performance et donc la problématique de l’évaluation. La notion de performance traduit à la fois un succès, le résultat d’une action et l’action en tant que telle[6]. Sa force vient de l’ambiguïté du passage de la notion de performance au singulier à la recherche de performances au pluriel. En effet, à l’origine, la performance est considérée comme quelque chose d’exceptionnel (par analogie avec le sport) qui ne peut se reproduire. Or, ce que requiert le management ce sont des performances, c’est-à-dire une reproduction d’actes exceptionnels[7]. Cette notion de performance induit donc la recherche permanente de l’amélioration et fait référence à une conception entrepreneuriale de la société dans laquelle chacun doit se dépasser.
Classiquement, on peut distinguer deux critères de performance : être efficace (atteindre ses objectifs) et être efficient (minimiser les ressources pour atteindre les objectifs). Si le management propose des outils et des techniques qui permettent de faire plus avec moins (l’efficience), il ne permet pas de s’interroger sur les objectifs. L’objectif de l’entreprise est ainsi toujours, plus ou moins explicitement, d’augmenter la rentabilité, ce qui implique d’être compétitif – pour réussir à vendre ses produits et services sur un marché – et pérenne – pour que l’entreprise dure. Ceci a rendu la réflexion sur les objectifs sans objet en management : « le problème des fins est la plupart du temps entièrement subordonné à la question des moyens. En d’autres termes, le comment l’emporte aisément sur le pourquoi et le pour qui. »[8]
La rationalité instrumentale
Une deuxième caractéristique du management, que l’on peut retrouver dans le processus d’évaluation, concerne l’attention essentielle que le management porte à la rationalité instrumentale (telle que l’a définie Max Weber) ou adaptation des moyens aux fins.
Ceci conduit à faire l’hypothèse d’agents rationnels qui font ce qui leur est utile et poursuivent leur intérêt de manière appropriée. Dans « cette anthropologie restreinte, l’être humain apparaît la plupart du temps comme un être abstrait, un objet économique et un individu sans affect, sans histoire et sans culture. Il s’inscrit dans un projet instrumental qui confère toutes les vertus à une seule logique : la logique technique »[9]. Dans ce cadre, les dispositifs d’évaluation chiffrés prennent une place fondamentale. Ils permettent d’améliorer la rationalité de la prise de décision et de s’assurer que les actions de chacun s’accordent avec l’objectif de l’organisation. Présentés comme neutres ils doivent permettre de représenter parfaitement la situation de gestion.
On ne gère bien que ce que l’on mesure, nous dit le management[10]. Cependant, la gestion fait essentiellement référence à des grandeur construites, en les considérant abusivement comme des mesures – faisant ainsi référence aux sciences de la nature – alors qu’elles résultent d’un processus de « quantification » qui consiste à « exprimer et à faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé seulement par des mots et non par des nombres »[11].
Le management comme un ensemble de dispositifs
Le management, c’est aussi un ensemble de dispositifs. L’évaluation en est une des représentations majeures. Telle qu’elle se développe aujourd’hui, elle s’appuie conceptuellement sur une méthode formalisée dans les années 50-60 par Peter Drucker : la direction par objectifs (DPO). Celle-ci permet de rendre chacun responsable et capable de rendre des comptes. Elle fonctionne de la manière suivante. Dans un premier temps, le responsable fixe des objectifs à ses managers. Il leur laisse ensuite une certaine liberté d’action pour les atteindre. In fine, la direction évalue et récompense les managers en fonction de l’atteinte de ces objectifs. L’évaluation joue ici un rôle important : elle « aide a construire et à développer les pratiques d’individualisation et de responsabilité » en rendant les individus « calculables et comparables »[12]. Elle doit aussi favoriser la motivation en « conduisant les individus à se penser comme des êtres calculés et en enrôlant les individus dans la poursuite d’objectifs prescrits et standardisés ». Avec la gestion par objectifs, le contrôle est essentiellement réalisé a posteriori sur les résultats réalisés.
Les avantages de ce type de dispositif sont nombreux. Il permet de gérer « par exception », c’est-à-dire seulement lorsqu’il y a des déviations par rapports aux objectifs. La DPO permet aussi de contrôler le comportement d’autres personnes, de les responsabiliser et de les motiver (grâce aux primes qui sont attribuées en cas d’atteinte des objectifs). Enfin, elle rend possible à la fois le contrôle et l’autonomie des individus dans les organisations (et ainsi, rend possible la décentralisation). Ce dispositif a, dans une large mesure, démontré son efficacité pour gérer à distance des activités complexes et multiples : il a favorisé et a été rendu nécessaire par l’émergence des grandes organisations[13].
Les pratiques d’évaluation dans les associations ne sont pas nouvelles (notamment dans le domaine de l’action sociale). Mais la loi de 2002 dans ce secteur place l’évaluation au centre des enjeux (à travers des référentiels et une instance nationale)[14]. Elle tend ainsi à se généraliser à divers niveaux : au niveau des organisations, au niveau des activités et au niveau des individus.
Quel potentiel démocratique des dispositifs d’évaluation ?
Le livre coordonné par Joseph Haeringer[15] part de l’hypothèse que l’association formalise une double liberté : liberté reconnue aux individus de s’associer et liberté reconnue aux collectifs de « s’organiser selon des principes de justice qu’il leur appartient de définir » (p. 37). Le potentiel démocratique de l’association se joue donc à la fois au niveau de l’individu et du collectif. Pour évaluer le potentiel démocratique de l’évaluation en secteur associatif, nous allons donc envisager ses enjeux au travers de quatre parties prenantes mises en évidence dans l’ouvrage : les financeurs, les professionnels, les administrateurs et les usagers.
Financeurs
Le projet associatif apparaît historiquement, comme le rappelle Joseph Haeringer dans le chapitre introductif de l’ouvrage, comme une mutualisation des ressources, fondée sur la liberté individuelle de s’associer et dont le principe de coordination est celui de l’égalité entre les membres associés. Aujourd’hui, les contraintes de ressources conduisent cependant bien souvent à considérer les bailleurs comme une partie prenante à laquelle il est difficile de résister. Le livre, centré sur les associations d’action sociale, propose une typologie des associations dans le chapitre d’Elisabetta Bucolo, qui, sans être applicable telle quelle à toutes les associations, nous permet de réfléchir à une diversité de situation en la matière en distinguant la régulation tutélaire, la régulation concurrentielle et la régulation conjointe.
Dans les associations qui sont dans un rapport de régulation tutélaire, l’évaluation par les financeurs peut vite se transformer en un outil qui fait de l’association un simple délégataire de service public : l’association se transforme alors en prestataire de service. En effet, grâce à l’évaluation, l’État (ou toute autre collectivité) peut, à la limite, définir des objectifs sans se préoccuper de la mise en œuvre de ces objectifs. S’il parait simple de définir les objectifs et de les mesurer, l’association pourrait même être remplacée par une entreprise privée et on pourrait ainsi glisser tout naturellement vers une régulation concurrentielle.
Cette délégation n’est pas sans poser des difficultés. En effet, elle implique de pouvoir parfaitement définir des objectifs et de pouvoir les mesurer. Or, contrairement aux entreprises privées, les notions de résultat ou de rentabilité n’ont pas de sens en tant que tel pour une association puisque dans bien des cas le résultat dépend largement de la capacité de l’association à collecter des fonds (auprès des pouvoirs publics ou des citoyens). La principale difficulté n’est cependant pas là : elle tient à la nature même de l’activité associative. En effet, comme dans le cas des services publics, certaines associations ont vocation à produire des externalités c’est-à-dire que leurs actions doivent avoir un impact sur la société. Dans ces conditions définir la performance n’est pas uniquement mesurer l’activité des associations (ce que les anglo-saxons appellent l’output) mais aussi prendre en compte aussi l’impact de leurs actions sur la société en général (l’outcome).
Pour éviter, cet écueil, il faut alors, nous dit Joseph Haeringer dans le chapitre conclusif, passer a minima à une régulation conventionnée. C’est à dire que l’association doit réussir à maintenir des marges de manœuvre pour être force de proposition. Cela peut se traduire par une action des associations sur les critères de leur évaluation. Il faut alors utiliser ces dispositifs de gestion, comme des outils permettant de rendre visible le travail réalisé par l’association. Dans son travail de thèse, Arthur Gautier donne un exemple de ce type de démarche dans le secteur des associations de musiques actuelles[16]. Ce n’est que dans ce cas que l’on peut considérer que les associations ont un potentiel démocratique propre qui ne se résume pas à être le prolongement de l’action de l’État.
Il faut aussi signaler que ce développement des pratiques évaluatives se traduit par un développement des instances d’évaluation : des agences (par exemple dans le domaine de l’action sociale l’Agence Nationale d’Évaluation Sociale et Médico-sociale). Or, ces agences sont à la fois des relais de l’administration et censées s’en détacher pour porter un regard, supposé neutre et indépendant, sur les pratiques associatives. Il faudrait certainement s’interroger sur l’impact de ces agences sur le secteur associatif. Cette évaluation indépendante et neutre est-elle possible ?
Professionnels et bénévoles
La pratique de l’évaluation des acteurs peut être présentée comme une pratique démocratique puisqu’elle peut se substituer au contrôle purement hiérarchique classique et qu’elle valorise, en un certain sens l’autonomie des individus[17]. Le cadre pour apprécier ce caractère démocratique, comme l’a bien montré d’Iribarne (en s’appuyant sur Tocqueville), renvoie à une vision anglo-saxonne de la démocratie : responsabilité individuelle et contractuelle[18].
Cependant, l’évaluation des professionnels pose des problèmes spécifiques D’abord, parce que nous sommes dans un domaine ou l’action est bien souvent difficilement codifiable. Lorsque ces exigences de mesure de la performance se diffusent à l’intérieur des associations, elles se heurtent à des pratiques professionnelles bien établies, dont l’efficacité ne va pas toujours de pair avec la parcellisation, la normalisation, en un mot la taylorisation des tâches, présentée comme nécessaire à la responsabilité et à la transparence managériale. Ces exigences permettent-elles de prendre en compte toute la dimension tacite et informelle du travail associatif ? La rationalité instrumentale est-elle toujours plus efficace que les régulations informelles ? La mesure peut-elle remplacer les professionnels ? Ensuite, parce que la rationalité instrumentale, inscrite dans le processus d’évaluation, semble difficilement compatible avec un secteur associatif dans lequel la rationalité axiologique, ou conformité par rapport à des valeurs, est un moteur fort de l’action. Comme le souligne Michel Jezequel dans le chapitre 8, l’engagement citoyen est aussi un des moteurs de l’action associative. En effet, la force des associations vient de ce qu’elles s’apparentent à ce qu’Etzioni appelle des organisations normatives[19]. Dans ce type d’organisation, le contrôle des comportements par les résultats ou par des dispositifs administratifs n’est pas aussi nécessaire que dans des organisations classiques[20]. En effet, un contrôle de type culturel s’y substitue : l’attention est portée sur les pensées, les croyances et les émotions. Ce type de contrôle passe par l’identification des membres de la société (ou de l’organisation) à un modèle commun. Les organisations sont alors vues comme des lieux de valeurs partagées et d’implication morale dans lesquels la cohésion et la loyauté prennent une importance majeure. Pour contrôler, il faut donc donner l’exemple, inspirer, motiver et donner de la sécurité aux employés. Dans ce contexte, contrôler c’est former les identités, les émotions, les attitudes et les croyances, gagner les cœurs et les esprits. Bien sûr, ce type de contrôle culturel existe dans les entreprises classiques, son rôle a d’ailleurs été souligné pour expliquer la réussite des entreprises japonaises au cours des années 80, mais il cohabite souvent mal avec un mode de contrôle plus rationnel.
Dans ce domaine, l’exemple donné dans le chapitre 2 par Marie France Gounouf concernant le champ associatif de l’aide à domicile donne des pistes : le partage des bonnes pratiques est primordial dans l’efficacité des dynamiques professionnelles. À partir de là, on peut envisager de faire des systèmes d’évaluation des espaces d’échange de ces bonnes pratiques.
Administrateurs et dirigeants professionnels
L’évaluation étant bien souvent imposée aux associations par les bailleurs, les administrateurs et dirigeants sont en première ligne pour faire face à ces processus d’évaluation.
Deux écueils sont alors envisageables. D’abord la traduction immédiate et non réfléchie par ces dirigeants des dispositifs d’évaluation dans les pratiques professionnelles. Ce phénomène de contagion est très classique et a été mis en évidence à de nombreuses reprises dans les entreprises privées : on reproduit sur les subordonnés les critères d’évaluation qui s’imposent à nous. Par exemple, une contrainte budgétaire au niveau de l’association qui serait immédiatement traduite par une contrainte budgétaire pour les services n’aurait n’a pas forcément de sens : cela laisse les professionnels fort désarmés s’ils n’ont pas d’éléments sur le « comment faire ? ». Le deuxième risque est celui d’une colonisation et d’une prise de pouvoir par des managers et des financiers. En effet, l’évaluation est porteuse d’un langage et de compétences spécifiques que ne possèdent pas forcément les professionnels. Si la zone d’incertitude principale à maîtriser devient le processus d’évaluation, il devient alors légitime d’embaucher des managers professionnels qui ne connaissent pas forcément le métier de l’association mais disposent d’une compétence « managériale » et financière.
Inversement, on pourrait interpréter la diffusion des processus d’évaluation dans toutes les sphères associatives comme une tentative des « managers » pour prendre le pouvoir grâce à un « savoir » spécifique. De nombreuses recherches ont ainsi montré que la lutte entre professions pour le contrôle des organisations est un moteur de leurs évolutions.
Au regard de ces processus d’évaluation, que serait un bon administrateur ou dirigeant associatif ? D’abord, quelqu’un qui ne retransmet pas mécaniquement le processus d’évaluation sur les professionnels (et qui joue en quelque sorte le rôle de tampon). Ensuite, quelqu’un qui se sert de l’évaluation comme d’un espace de discussion et d’apprentissage (au sein de l’association mais aussi entre les associations) plus que comme un processus coercitif de définition des « bons » et des « mauvais ».
Usagers
La loi de 2002 dans le domaine de l’action sociale consacre la place de l’usager dans le processus d’évaluation. Il y est mis en situation de faire valoir « des droits opposables à la logique professionnelle »[21] et, en quelque sorte, en place d’évaluateur grâce à divers dispositifs (contrats de séjour, contrats d’objectifs, etc.). En la matière, il peut être utile de se référer à ce que cette prédominance accordée aux clients a eu comme effet dans les entreprises. Ce fut d’abord un moyen d’accroitre le contrôle des salariés, d’intensifier et de flexibiliser leur travail, le tout au profit des actionnaires, en faisant passer ces évolutions comme un résultat des attentes du client. De la même manière, on peut se demander si l’usager ne serait pas qu’un « prétexte trouvé aux obligations de bonnes pratiques » pour densifier le travail social[22].
Si la question de la participation des usagers au processus d’évaluation est fondamentale, les modalités de cette participation n’ont rien d’évident. D’ailleurs, de quel usager parle-t-on ? Tous les usagers peuvent-ils et doivent-ils participer à l’évaluation ? Ces questions restent ouvertes. Il y en effet bien souvent un problème de compétence (la satisfaction des usagers ne peut résumer la performance d’une association du secteur médico-social, par exemple) et d’implication des usagers pour qu’ils puissent intervenir dans le processus d’évaluation.
Conclusion
Bien souvent, les méthodes de management des grandes entreprises privées sont vues par les associations à la fois de manière critique et comme un idéal d’efficacité. La diffusion de dispositifs d’évaluation s’inscrit dans ce cadre.
Les associations sont ainsi soumises à de fortes pressions tendant à la diffusion à tous les niveaux de ces dispositifs. Ils sont pourtant porteurs de techniques, de modes d’organisation, de croyances, qui ne sont pas forcément compatibles avec les spécificités associatives. On peut notamment s’interroger sur leur potentiel démocratique. Pour que l’évaluation puisse avoir un potentiel démocratique dans les associations, il faut d’abord accepter que, comme tous les outils de gestion, les dispositifs d’évaluation ne sont pas neutres. Les indicateurs nécessaires à l’évaluation sont en effet porteurs de valeurs et de choix politiques. Ils rendent visibles certaines actions et invisibles ce qui est difficilement mesurable. Ils doivent donc être discutables et ne peuvent être pris pour des vérités incontestables. Il ne faut ensuite pas croire que ces dispositifs tirent leur force de leurs supposés effets incitatifs ou coercitifs. Des recherches ont ainsi montré qu’il était possible de les utiliser comme des espaces de discussion, de partage d’information et donc d’apprentissage[23]. C’est certainement dans ce domaine que les effets positifs de l’évaluation, s’il y en a, sont à chercher.
[1] Bouquin H. (2005), Les fondements du contrôle de gestion, PUF, 3ème édition.
[2] Drucker P. (1954), The Principles of Management, NY HarperCollins Publishers. p . 3
[3] Drucker, 1985, les entrepreneurs, p. 41) . Cité par Dardot, P. & Laval, C.(2009). La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris: la Découverte. En cela, et même s’il l’a précédée, le management s’articule parfaitement avec le développement de la rationalité néo-libérale, telle que la présentent Dardot et Laval dans leur ouvrage.
[4] Chanlat J.-F. (1998), Sciences sociales et management, Eska.
[5] Ces paragraphes reprennent largement Avare, P. Sponem, S. (2008) Le managerialisme et les associations. in C. Hoarau et J.L. Laville (dir), La gouvernance des associations. Sociologie, économie, gestion. Editions Eres, p. 113-130.
[6] Bourguignon A. (1997), « Sous les pavés la plage. ou les multiples fonctions du vocabulaire comptable: l’exemple de la performance », Comptabilité, Contrôle, Audit, vol. 3, n° 1, p. 89-101.
[7] Stiegler B. (2004), « Performance et singularité », in B. Heilbrunn (éds.), La performance, une nouvelle idéologie? La découverte, p. 208-250.
[8] Chanlat, J.F., op. cit., 1998, p. 96.
[9] Chanlat, J.F., op. cit., 1998, p. 61.
[10] Berland N., Chevalier Kuszla C. et Sponem S. (2008, à paraitre), « On ne gère bien que ce que l’on mesure », in A. Pezet & S. Sponem (éds.), Petit bréviaire des idées reçues en management, La découverte.
[11] Desrosières A., Kott S. (2005), « Quantifier », Genèses, vol. 58, n° 1, p. 2-3.
[12] Miller P. (2001), « Governing by numbers: why calculative practices matter », Social Research, vol. 68, n° 2, p. 379-396. p. 381.
[13] Chandler A. D. (1977), The Visible Hand. The Managerial Revolution in American Business., The Belknap Press of Harvard University Press, Traduction française : La main visible des managers, Paris, Economica, 1988.
[14] Chauvière, M. (2007) Trop de gestion tue le social : essai sur une discrète chalandisation, Paris: La Découverte.
[15] Haeringer J. (2009). La démocratie, un enjeu pour les associations d’action sociale, Desclée de Brouwer.
[16] Gautier, A. (2009), Associations et entrepreneuriat institutionnel. Une approche néo-institutionnaliste de la culture : le cas des lieux de musiques actuelles. Thèse de doctorat. Conservatoire National des Arts et Métiers.[17] Drucker P. (1975), La nouvelle pratique de la direction des affaires, Economica.
[18] Iribarne, P.D. (1993), La logique de l’honneur, Paris, Seuil.
[19] Etzioni A. (1961), A comparative analysis of complex organizations, New York, Free Press.
[20] Ouchi, W. (1980), « Market, bureaucracies and clans », Administrative Science Quarterly, vol. 25, p. 129-141.
[21] Chauvière, M., op. cit., 2007, p. 286.
[22] Chauvière, M., op. cit., 2007, p. 132.
[23] Simons R. (1995), “Control in the age of empowerment”, Harvard Business Review 73(2) 80-88.
Samuel Sponem, Maître de conférences, Conservatoire National des Arts et Métiers
Cette conférence a été prononcée dans le cadre de l’Université populaire et citoyenne, Conservatoire National des Arts et Métiers – Institut Polanyi, 2 décembre 2009, autour du livre coordonné par Joseph Haeringer : La démocratie, un enjeu pour les associations d’action sociale, Desclée de Brouwer, 2009.