Écrit par Daniel Le Scornet
Une analyse critique des nouvelles politiques nationales et européennes en matière de protection sanitaire et sociale.
Ce texte est issu d’une intervention devant les Délégués Régionaux de la Mission France de Médecins du Monde, le samedi 5 Décembre 2008 à Paris.
Je vous remercie de cette invitation. Il s’agit d’un grand honneur pour moi, surtout en cette date très proche de l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en ce moment que vous qualifiez vous-même de « tournant » pour votre stratégie.
Je viens d’être gentiment présenté comme membre du Comité Économique et Social Européen, mais je ne le suis plus depuis deux ans. Je n’ai pas pris mes distances avec mes anciennes fonctions directement dédiées aux systèmes sanitaires, national et européen, mais j’ai fait, plutôt, un pas de côté : j’anime aujourd’hui un « labo » de recherche et de proposition que j’ai créé au sein d’un établissement public culturel de la ville de Paris, la Maison des Métallos, dirigée par G. Paquet et présidée par P. Bloche, Maire du XIème arrondissement de la capitale.
L’objectif est de mener un travail transverse sur les champs artistiques, scientifiques et sociaux, pour tenter de mutualiser les changements de paradigmes qui s’y déploient de façon bien trop hétérogène, du fait, principalement, de la division du travail, d’une grande méconnaissance réciproque, et même d’un certain mépris mutuel.
Cette hétérogénéité porte préjudice à l’évolution plus efficiente de ce qu’on appelle (trop facilement) une avancée de la société de la connaissance. En fait la société ne sait pas, souvent, qu’elle sait, et expérimente de nouveau, à grands frais, du déjà connu : elle ne transforme pas ses expérimentations en expériences.
Il s’agit pour nous de viser une certaine fraternisation de ces champs incroyablement clos sur eux-mêmes, en dépit des quelques porosités qui, bien sûr (et heureusement), existent encore. Notre effort est d’expérimenter, au sein de chacun de ses champs, la forme spécifique d’appropriation et de propriété solidaires qu’est la mutualité, à la fois pour construire leurs nouvelles économies (sans nouvelles formes, pas de nouveaux contenus) et pour contribuer à une régénération du mutualisme lui-même, y compris dans ses sphères actuelles d’application exclusives (la santé et la protection des personnes et des biens).
D’un point de vue mutualiste, ce travail permet de revenir sur la santé comme « fait culturel total », pour paraphraser Mauss, et, en même temps, sur la mutualité comme forme supérieure de socialisation, non étroitement confinée à la protection sociale complémentaire, non réservée à une partie seulement de la population, et cessant d’être assez éloignée des plus pauvres et des plus exclus (puisque les dynamiques concurrentielles tendent aujourd’hui à l’enfermer toujours plus dans ce rôle).
Je ferai, comme vous m’y avez invité, une présentation des réformes les plus récentes des systèmes sanitaires et de leurs effets sur les plus exclus, en essayant de vous interroger, aussi, au regard de ce que je connais (très peu) de vos pratiques et (moins encore) de votre stratégie.
Ma présentation s’articulera autour de quatre moments :
- La réforme d’ensemble du système sanitaire français engagée par le projet de loi « Hôpital, patients santé et territoires » ;
- L a loi de financement de la Sécurité Sociale 2009 ;
- Les politiques européennes en la matière ;
- Les politiques et les expérimentations légales en cours sur l’immense domaine de la pauvreté, de l’exclusion et de la grande exclusion.
I. Le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoire »
L’examen du projet de loi étant en cours et son application étant prévue pour 2010, il est difficile d’en avoir une vision perspective sérieuse, sans compter que l’application concrète d’une aussi vaste réforme peut, dans le temps, aboutir à des résultats imprévisibles, voire exactement contraires à ceux voulus, ou du moins annoncés, par le législateur.
Par méthode, et au-delà de l’appréciation d’ensemble de cette réforme (pour moi plutôt négative, ou du moins me laissant très circonspect), je m’attacherai à chercher les nouvelles opportunités progressistes, les nouvelles marges d’action qu’elle ouvre aux acteurs sociaux. Par principe, tout changement d’ampleur, quelles que soient les volontés de ceux qui le mènent, en fournit à foison, d’autant plus que les situations antérieures n’étaient en rien satisfaisantes : explosion continue des inégalités sanitaires et sociales, de la pauvreté, de l’exclusion et de la grande exclusion, comme l’actualité nous le rappelle cruellement, de surcroît dans un contexte de crise mondiale globale qui va prendre chaque jour plus d’ampleur, notamment en matière sanitaire et sociale.
Vous connaissez ce dossier mieux que moi. Mon regard spécifique procédera, en quelque sorte, à grands coups de serpe.
Sous le couvert d’une régionalisation effective du système (avec les Agences régionales de santé), il s’agit en fait de son étatisation généralisée. En attestent :
- Le rôle déterminant, in fine, des préfets ;
- La quasi disparition de la Sécurité Sociale dans le « circuit du commandement » ;
- La gouvernance de l’hôpital par un patron, le directeur, et par un exécutif, le
- Directoire et le Conseil de surveillance (conseil de surveillance dont le moins que l’on puisse dire est qu’il pourra être rapidement dévoyé ou mis hors jeu, du fait de ses pouvoirs et de sa composition – qui ne fait pas de place aux usagers, ni même aux élus, entre autres).
Certes, la régionalisation du système de santé, dans un objectif de maintien d’une égalité nationale des droits, semble porteuse de potentialités intéressantes, tout comme la remise en cause (sur le papier) des absurdes dichotomies entre hospitalisation ambulatoire et médico-sociale. Il ne faut pas mépriser cet effort. Ni même la « culture des résultats » prônée.
Mais de quels types de résultats est-il question ? Rien n’est dit. D’efficience, il n’est dit mot, et la rationalisation à tous crins, dans un système aussi complexe, mène-t-elle vers l’efficience ? Même les redondances à ces niveaux de complexité sont absolument nécessaires !
L’a priori de la coopération des structures sur un même territoire, scandaleusement déficiente actuellement, est impérativement nécessaire. Mais il laisse singulièrement rêveur, puisqu’il se contente d’aboutir au déclassement systématique des « petits hôpitaux » (dont la notion est fort vague) en centres pour personnes âgées et de rééducation.
Surtout, concernant la question de la proximité, qui est essentielle en matière d’accès aux soins et de lutte contre l’exclusion et la grande exclusion, les voies sont bien minces, au moment pourtant où les avancées technologiques et psychologiques (télé-médecine, télé-chirurgie, réseaux pluridisciplinaires extrêmement maillés sur les territoires…) offrent bien d’autres chemins possibles.
Pourquoi régionaliser, s’il s’agit de développer des stratégies univoques ?
Comment comprendre que la nouvelle possibilité juridique de déroger au droit commun pour expérimenter, en promouvant l’économie des moyens et surtout l’égalité des chances et des résultats, est d’entrée de jeu figée dans un schéma aussi univoque et caporalisé ?
Quant aux paroles ressassées sur le médecin généraliste, « pivot » du système, qui peut encore les croire, et surtout les vouloir ? Par définition, il n’y a pas de pivot ou de centres possibles dans les systèmes complexes, comme nous l’apprennent les savoirs scientifiques disponibles… depuis longtemps. Au sein des systèmes complexes, tous les acteurs sont stratèges, et leurs prises de décision sont plus transversales que hiérarchiques ! Alors même que les équipes médico-hospitalières et médico-sociales, aujourd’hui re-solidarisées, montrent tous les jours leur capacité à co-élaborer et à co-évaluer les stratégies socialement souhaitables, la recherche désespérée d’un prétendu niveau central ou pivot est une chimère – et les chimères, comme chacun sait, ne sont qu’évasions dans des songes sans consistance.
Et voici qu’on nous parle de maisons de santé ! Cinquante ans après les efforts du mouvement mutualiste, c’est à vrai dire une belle surprise ! Mais prémunissons-nous de notre enthousiasme, car il est fort à craindre que nous soyons vite déçus : espérons que les rédacteurs de ce projet de loi aient la pluri-disciplinarité pour objectif, mais doutons qu’ils aient jamais entendu parler de la distinction du soin et de la santé, et que l’insertion du centre de santé dans une population auto-organisée, soucieuse de promouvoir sa propre santé, ait jamais été leur véritable horizon !
Il est également question d’éducation thérapeutique. Mais celle-ci s’adresse seulement à des groupes ciblés de malades et à quelques affections (jeunes, alcool, tabac, maladies chroniques…). S’agit-il donc de viser uniquement une réduction des coûts socialisés des affections de longue durée (ALD), comme je le crains, ou de penser également une prise en charge globale et continue de l’ensemble de la population, dans sa capacité d’agir sur les facteurs de coûts, de risques et d’isolements ?
L’idée d’améliorer le lien entre le nombre d’étudiants en médecine et les besoins territoriaux [1], de façon à pallier la désertification médicale, est sans doute plausible, mais elle est édictée sans débattre d’autres possibles, et en l’absence, remarquée, des universités au sein des instances de surveillance.
Comme d’habitude, nous nous trouvons face à d’énormes incohérences, contradictions et sous-estimations des expériences passées et des savoirs présents au sein des différents champs des pratiques humaines. Tout est flou, à l’exception de la gouvernance du ou des chefs !
Comment faire s’exprimer, avec ce projet, une démocratie sanitaire réelle alors que le peu de démocratie sociale qui restait au sein de la sécurité sociale est purement et simplement porté à disparaître ?
Pour être pertinentes, les conférences régionales et les éventuelles conférences territoriales de santé devront être grandement dynamisées par le mouvement social ! Mais celui-ci, depuis des années, a pris un chemin exactement inverse ! Assez curieusement, en effet, les partenaires sociaux ont bâti leurs légitimités sur la création, la gestion et la défense de la sécurité sociale, mais ont accepté, dans un temps assez court, d’en être expropriés (notamment dans les branches santé et famille), au nom de l’universalité du risque, sans que personne n’interroge sérieusement la pertinence de cette question ! Alors, une conférence régionale tous les deux ans, sur une seule thématique ! Et des conférences plus localisées pouvant, éventuellement, se réunir pour proférer de simples avis ! Le défi va être très difficile à relever.
Pourtant le cadre régional et territorial peut se prêter à un renouveau de la démocratie sanitaire, à condition que le mouvement social, et pas seulement les associations de telles ou telles maladies, se dote, lui aussi, en accord avec les professionnels de santé et avec les acteurs des champs éducatif, scientifique, artistique, de stratégies offensives et non pas purement défensives et corporatistes. Il faut insister sur ce point : le mouvement social fonctionne actuellement de façon essentiellement corporative, se regroupe par affinités closes sur elles-mêmes, par regroupements principalement guidés par la recherche de tailles critiques sans rapports réels avec l’échelon régional, les bassins de vie et d’emploi. Dans ce contexte, les géostratégies adaptées à la diversité des situations, recherchant non seulement l’égalité des chances, mais aussi une certaine égalité des résultats, ne risquent guère de jamais voir le jour. La situation des plus pauvres et des plus exclus, très hétérogène sur les différents territoires, ne sera prise en compte qu’à la marge. Elle ne pourra pas être érigée au rang de stratégie d’ensemble, ni même, à minima, au rang de problème à traiter en lien avec les problèmes du reste de la population.
A défaut d’un mouvement social collectif, comment connaître et agir sur les facteurs de risques (et de coûts) les plus graves et les plus facilement évitables pour améliorer le sort de tous ? Comment échapper, du fait notamment de la médiatisation complaisante, qui objective et ne subjective pas la situation des plus exclus, à la mise en place progressive d’un traitement séparé de l’exclusion et de la pauvreté ? Comment éviter la progression sans précédent du nombre des travailleur(se)s pauvres et très pauvres, au moment où les entrepreneurs associatifs, attachés à leur périmètre de gestion, se disputent les marchés sous-traités à vils prix par les pouvoirs publics et les collectivités locales, eux-mêmes pourvoyeurs d’emplois précaires ?
Comment casser la boucle, comme vous dites si justement ?
Et qu’allons nous faire de la redoutable question des fonctionnaires, ou quasi-fonctionnaires, payés au mérite sur les bénéfices des hôpitaux, et dont ni les salaires, ni la considération, ni la précarité, ni la pénurie [2], ni les mauvais traitements endurés ne permettent la motivation et l’entretien de la « vocation » ? Suffira-t-il de mettre en avant le principe républicain de désintéressement du fonctionnaire. Suffira-t-il de dénoncer l’invraisemblance d’un système de santé, bénéficiaire en quelques-unes de ses parties alors que la dette cumulée, reversée sur la CADES [3], atteint aujourd’hui près de 140 milliards d’euros ?
II. La loi de financement de 2009
Rien de neuf non plus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 : un ONDAM [4] dont on sait pertinemment qu’il est sans base objective ; des chiffres bidouillés qui conduisent même la Cour des Comptes à s’étonner que 7 milliards d’euros se trouvent ici ou là… En matière de dépassements de tarifs, pour ne rien changer, 2 milliards d’euros repérés ; toujours un secteur II, où le non-accès des titulaires de la CMU [5] et plus encore de l’AME [6] culmine, et toujours de l’incitatif, seulement, pour mettre un terme à ces scandales.
Toujours également cette énorme affaire des franchises, qui ne peuvent qu’inciter une partie de la population à retarder, ou même à renoncer aux soins précoces. Il faut noter que cette affaire excède largement la seule situation des plus exclus. De ce fait, avec eux et par eux, elle aurait pu rendre possible une offensive de toute la population, d’autant plus que le moment, politiquement, était propice à un recul des pouvoirs publics, si tout le mouvement social s’était mis d’accord pour en faire une question prioritaire. Mais cette fenêtre de tir s’est refermée depuis. Au lieu de laisser la frange la plus radicale de l’échiquier social et politique s’emparer seule de cette mesure (et prendre ensuite prétexte de sa minorité pour ne rien faire, non sans avoir collecté 300.000 pauvres signatures que personne n’a portées), il fallait en faire une opportunité collective et globale, à l’image de la mutualité qui, sur un thème similaire, le ticket modérateur d’ordre public, avait collecté plus de 8 millions de signatures en 1980, et fait échouer une loi soutenue par un Premier ministre affirmant crânement qu’il n’avait pas peur « des porteurs de pancartes ».
En fait, le plus intéressant pour agir offensivement contre cette loi me semble justement avoir trait à la question des plus pauvres, et à la possibilité de penser un continuum entre leur situation et celle de l’assuré lambda.
Le gouvernement fait en effet porter à la mutualité, le plus grand mouvement social français (avec ses 38 millions de personnes adhérentes ou bénéficiaires), ainsi qu’aux autres organismes complémentaires (en tout 92% de la population), une taxe nouvelle d’un milliard d’euros. Cette taxe est particulièrement injuste, quant on connaît les niveaux atteints par les exonérations patronales (37 milliards d’euros), et quand on sait que l’élargissement de l’assiette à la valeur ajoutée des entreprises et le développement d’une fiscalité écologique rendraient beaucoup plus juste et pérenne le financement de la sécurité sociale.
Cette taxe a cependant été votée. Elle est relativement « acceptée » par les organismes concernés, pour des raisons très complexes, qui ont à voir avec les politiques de certains organismes complémentaires, avec la discorde structurelle entre syndicalisme et mutualisme, et avec, enfin, la pression énorme du pouvoir politique pour mettre un acteur historique essentiel du mouvement social, la mutualité, sinon hors jeu, du moins hors du concert des décisionnaires.
Mais paradoxalement une brèche s’ouvre pour l’offensive. En effet, par cette taxation, la mutualité et les autres organismes complémentaires se voient désormais être les seuls financeurs du fonds national pour la CMU, qui jusqu’alors était financé à parité entre ces organismes et l’État. Or, étant donnée la timidité avec laquelle la mutualité s’était engagée dans cette avancée sociale (je le sais bien, dans la mesure où j’ai lancé l’idée et la campagne qui a abouti à sa mise en place), le pouvoir d’alors avait jugé prudent de laisser les caisses de sécurité sociale, qui ne mettaient pas un sou dans l’affaire, devenir les apéritrices principales de cette prestation, et l’État le seul gestionnaire, par l’intermédiaire d’un établissement public, du fond national de la CMU ! Mais maintenant que seules les complémentaires financent pourquoi rester en l’état ? Le principe de « qui finance, gère » ne s’applique-t-il plus ? La situation est ubuesque, les mutualistes financent l’intégralité, l’État gère et reprend tous les excédents éventuels, et c’est la sécurité sociale qui distribue la prestation pour laquelle elle ne met pas un sou !
Vous, Médecins du Monde, savez mieux que d’autres ce qu’est la CMU, soit 7, 6% de la population totale, savez aussi qu’elle concerne 35% de la population des DOM, 17% des enfants de moins de 7ans et 14% des ménages ouvriers. Vous savez également ce qu’il reste à faire pour fusionner celle-ci avec l’AME, dont les bénéficiaires fréquentent vos consultations et vous rencontrent à l’occasion de vos maraudes. Dont tous les bénéficiaires potentiels, également, sont loin d’être couverts. Or les restrictions d’accès à l’AME (domiciliation, non effet immédiat, peur de se faire connaître…) ne pourront être combattues que par une solidarisation plus forte des très grands exclus avec les exclus et les inclus, dans une structure de droit commun, celle du fonds national de la CMU.
Une gestion démocratique de ce fonds par ses financeurs et ses « bénéficiaires » permettrait un véritable accès de tous à leurs droits. Elle pourrait permettre, en particulier, l’accès de tous ceux qui y ont droit à l’Aide légale à la Complémentaire Santé (400 000 bénéficiaires actuellement, à comparer aux 2 millions de personnes qui devraient théoriquement l’obtenir, si on comptabilise toutes les personnes au-dessus – 20% – du seuil de la CMU-C). Elle pourrait également permettre que le nombre de bénéficiaires réels de la CMU soit égal au nombre de bénéficiaires potentiels (depuis 2001, le nombre de bénéficiaires CMU de base et CMU complémentaire n’a quasiment pas bougé, avec un pic de 4,5 millions atteint en avril 2007, au lieu des plus de 6 millions qui devraient statistiquement l’obtenir). Elle faciliterait un mouvement de solidarité collective de toutes les populations vivant en France, dans un objectif commun d’accès aux soins et de prévention, et avoir de formidables effets sur la santé publique, sur la dignité, sur la non-aggravation des pathologies et la maîtrise des coûts !
Pourquoi ne priorisez-vous pas ce thème ? Pourquoi ne dirigez-vous pas votre méthode efficace du plaidoyer, cette fois-ci, non seulement vers l’État et les collectivités publiques, mais aussi vers le mouvement social, et avec lui, puisqu’il a ses propres responsabilités ! Il faut que le mouvement social pilote cette prestation, puisqu’il la paye entièrement. Il faut qu’il en fasse un levier pour l’accès de tous aux droits de tous, une dynamique pour gagner des marges permettant d’améliorer progressivement et durablement tout le système !
Il ne s’agit pas seulement d’un problème technique, mais, fondamentalement, d’une problème éthique, tant vous savez que la pauvreté et la grande exclusion font peur et que, au lieu de solidariser les populations, surtout dans des périodes où chacune et chacun s’effraye pour sa propre situation, elles poussent à se dérober. Il faut agir collectivement, parce que le sentiment réel de ne pas pouvoir faire face individuellement génère la honte et donc le ressentiment. Il faut agir collectivement parce qu’il est difficile d’accéder à ses droits seul, et difficile, impossible, d’aider seul. Les savoirs accumulés par les mouvements des chômeurs, sur un thème approchant, ou par une association comme « Solidarités Nouvelles face au Chômage » l’ont démontré.
Face à l’aggravation annoncée des difficultés économiques et sociales, il faut aujourd’hui reposer les questions de la CMU, de l’AME, de l’Aide légale à la complémentaire santé au sein des différents collectifs solidaires, avec la mutualité, avec les autres acteurs du mouvement social, pour nous redonner confiance et courage, tant les images que nous voyons nous mettent mal à l’aise, détruisent le respect de soi et annihile l’action collective.
Cette dynamique collective est nécessaire pour les structures qui, comme Médecins du Monde, interviennent auprès des plus démunis. Sans mouvement de solidarité collective, sans création de ponts entre la situation des plus exclus et celle de ceux qui ne le sont pas, les conditions d’ouverture des droits à l’AME vont encore se durcir, la domiciliation des sans papiers devenir plus compliquée encore, tandis que les droits des nationaux et des personnes en situation régulière vont encore être revus à la baisse. Comme avant la création de la CMU, les citoyens français, eux aussi, vont devoir faire appel à votre soutien. Même à votre corps défendant, cette situation va vous pousser à grossir et à re-développer des dispensaires pour pauvres, en abandonnant votre ambition fondamentale de retour au droit commun.
Il est absolument décisif de s’entraider au sein du mouvement social, sur un grand dossier concret, accessible, vital, pour retrouver une capacité offensive qui ne soit pas liée uniquement à l’attente d’échéances électorales lointaines et, plus que jamais, hasardeuses. D’autant plus qu’il ne faut pas nous faire d’illusion : il n’y a pas d’exemple, en matière de sécurité sociale, d’un changement de majorité politique, à droite ou à gauche, conduisant au retrait d’une taxe, d’un déremboursement, d’un forfait. Je sais que certains crieront au transfert de charges, mais, au départ la CMU n’en était pas un, puisque personne ne couvrait ces populations, à l’exception du mode indigne de l’aide médicale gratuite et des secours pour une infime partie de la population. Avec la mise à zéro de la participation financière de l’État au fonds CMU, et de la participation de la Sécurité Sociale pour l’ACS (Aide à la complémentaire santé), ce transfert vient d’avoir lieu. Tous les partenaires sociaux ont clairement préféré cette solution à celle d’un nouveau déremboursement ou d’une augmentation des cotisations. L’hypocrisie ne peut pas être de mise entre nous sur un tel sujet ! Faisons donc du judo avec cette taxe au lieu de faire semblant de pouvoir l’année prochaine revenir dessus.
Je sais également que certains crieront à la privatisation de la sécurité sociale par les organismes complémentaires. Mais la mutualité est une forme privée depuis toujours et personne n’a levé le petit doigt lorsque, il y a plus de 20 ans maintenant, les mutuelles ont été mises en concurrence avec les assurances et les organismes paritaires réassurés par les assurances, et contraintes, pour n’être pas éliminées par la guerre des tarifs, de développer des pratiques de plus en plus assurantielles et sélectives, même si elles demeurent à but non lucratif, ce qui n’est pas rien !
La mutualité représente 86% des organismes complémentaires qui contractent pour gérer la CMU. Il y a là un élément important de différenciation, qui, au fil du temps, s’est estompé, il est vrai, entre mutualité et assurances. Il pourra de nouveau s’épanouir si la mutualité décide de rassembler, en leader, dans une communauté unique, toutes les personnes qui ont du mal aujourd’hui à accéder aux soins et plus encore à la prévention, et si ces personnes deviennent des adhérents et des dirigeants mutualistes comme les autres, susceptibles de développer des pratiques neuves d’efficience.
Un accès précoce et de qualité égale pour tous au droit commun, en adhérant et en participant à la direction et à l’action d’un grand mouvement social, ne peut que conduire à réduire les dépenses de soins globales et à redonner des marges de manœuvre pour de nouveaux progrès sociaux.
Il n’est pas vrai que les dépenses de soins soient condamnées à exploser continuellement en raison du vieillissement et de l’utilisation de nouvelles technologies. Ce serait bien le seul secteur des pratiques humaines qui ne verrait pas sa productivité propre s’améliorer nettement, d’autant plus que les performances humaines sont sans doute appelées, bio-techniquement et culturellement, à être potentialisées à tous les âges de la vie, tant la plasticité du vivant est au-delà de tout ce que l’on imagine encore. Certains pays ont déjà réussi à stopper l’inflation permanente des dépenses, et même à parvenir à une certaine décroissance des coûts des soins, avec des résultats sanitaires meilleurs que les nôtres, et arrivent ainsi à regagner des marges pour les systèmes éducatifs et culturels, ainsi que pour leurs politiques environnementales, tous facteurs décisifs de la bonne santé. Ces réussites sont possibles parce que chacun accède au droit commun.
Le curieux consensus qui voudrait que le coût des soins augmente fatalement profite aux financiers, aux laboratoires, et à tous ceux qui vivent des atteintes les plus évitables à la santé – ce qui peut faire beaucoup de monde, jusque dans les organisations sociales. Même dans les pays les plus avancés en matière d’égalité sanitaire (on peut penser aux pays nordiques), il reste une vaste réserve de soins facilement évitables, à la condition que l’effort porte sur l’environnement et la culture, ainsi que sur la participation directe de tous les intéressés de façon à leur permettre de développer leurs puissances d’agir et d’éduquer eux-mêmes les systèmes de santé. Un véritable saut qualitatif culturel est possible en la matière, si les inégalités des droits en matière de recours aux soins à la prévention sont réduites. Pourquoi, pour sortir d’une situation que personne dans le mouvement social n’a véritablement voulue, ne tenterions-nous pas ensemble, grâce notamment aux « capabilités » des plus précaires et des plus exclus, d’élaborer de nouveaux continuums entre mutualisation, situation sanitaire, politiques de solidarité et engagements éthiques de toute la société ?
III. Les politiques européennes en matière de santé
Il est malheureusement clair que les compétences européennes directes en matière de santé sont très faibles, puisque les politiques de protection sociale et de système de santé sont, à peu près toutes (à l’exception des grandes épidémies et des catastrophes sanitaires) de la seule responsabilité des États-Nations. Cette situation est très paradoxale, quand on sait la volonté manifestée pour une « Europe sociale » au sein des peuples européens, et le rôle anthropologique joué par la sécurité sociale pour fonder une identité, une citoyenneté et une solidarité au sein des communautés nationales. Curieusement, les partenaires sociaux des différents pays sont bien conservateurs en ce domaine, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée, un fondement historique de leurs légitimités, et un moyen souvent essentiel de rendre captifs leurs adhérents et/ou de se financer.
Mais désormais, le couple étatisation/privatisation (chaque pôle ayant besoin de l’autre pour se développer) a proliféré partout, de façon singulièrement hétéroclite, à partir des différentes histoires nationales. Et partout, dans un vaste concours Lépine, chacun s’ingénie à trouver l’invention la plus sophistiquée, ou la plus tordue, pour responsabiliser financièrement le patient, afin qu’il renonce aux soins précoces dits « inutiles » (et qui sont pourtant ceux qui, souvent, permettent de couper court aux inégalités et à l’inflation des coûts). Partout, quelle que soit « l’astuce » mise en place, ce sont évidemment les plus pauvres et les plus exclus qui payent l’addition, et partout, les inégalités sanitaires et sociales se creusent.
Une mutualisation européenne en faveur de la protection sociale de la jeunesse paraît en particulier urgemment nécessaire, en raison de l’effondrement démographique de la plupart des pays européens, et pour éviter que le désespoir de la jeunesse ne la conduise à la violence. Cette mutualisation est possible. Un « comité européen de haut niveau » a calculé que le traitement de la question de l’effondrement démographique à l’échelle de l’Union pouvait permettre de doubler l’effort financier pour chaque jeune, sans augmenter les dépenses absolues pour cette classe d’âge ! La jeunesse européenne est prête à cette solidarisation. Pour qui veut faire naître la citoyenneté européenne (bien au-delà d’un Erasmus qui s’essouffle et qui n’a profité qu’à une extrême minorité des jeunes européens), pour qui veut mettre un terme à la désespérance et à la paupérisation de la jeunesse, pourquoi attendre encore ?
Il y a bien, il y a vrai, une sorte d’harmonisation à l’échelle européenne. Mais celle-ci ne consiste pas en l’harmonisation des systèmes, mais en l’utilisation, sous mille formes différentes, selon le « génie national » de chacun, du couple infernal étatisation/privatisation. Là, l’échange des « bonnes pratiques » va grand train. Et au final, le grand soir de la privatisation généralisée des systèmes de protection sociale et de santé, censé réveiller la combativité des masses laborieuses, n’a pas lieu, puisque presque partout, et en même temps, nous assistons à la fois à l’augmentation des prélèvements obligatoires sociaux et à l’augmentation des prélèvements privés. Nous ne sommes pas les témoins du démantèlement des Etats Providences, mais de leurs métamorphoses continues. Le mouvement social, plus préparé à des attaques frontales et à la perspective d’une privatisation d’ensemble de la protection sociale, a sans doute quelques difficultés à comprendre et à contrer ce fait. Par là, il renforce les réflexes de préservation, sur la seule base nationale de « son » modèle national, au moment où les interdépendances sociales et les besoins de solidarisation entre les populations des différents États se font chaque jour plus pressants.
En l’absence de volonté politique et sociale, c’est par l’intermédiaire de la Cour de Justice Européenne, et de la libre circulation des travailleurs, que des harmonisations se réalisent, par le haut, en s’appuyant sur les principes de non-discrimination et d’accès de tous aux droits à la santé, quel que soit son pays d’appartenance, européen ou étranger (principes reconnus dans la charte sociale et dans la déclaration du Conseil de l’Europe). Cette voie juridique est actuellement la plus prometteuse. Mais le mouvement social ne s’en saisit guère, pour des raisons culturelles sans doute. Une grande discrimination générique, en matière de santé, n’est d’ailleurs pas encore levée : celle qui a trait à la discrimination, sur critères de santé, à l’accès au travail. La maladie ou la grande fragilité ouvrent la porte au chômage, à l’exclusion et à la grande exclusion. Voilà une autre « boucle » qu’il faudrait casser ! Le droit à l’inaptitude, autrefois protecteur indéniable de la santé des travailleurs, se retourne aujourd’hui contre eux, sans qu’il soit revisité à la lumière des modifications des procès et de l’organisation du travail, qui pourraient aujourd’hui s’adapter à chacun pour l’accès de tous au travail.
Symétriquement, la souffrance au travail est également une des voies d’entrée dans l’exclusion et la grande exclusion (sans parler des suicides sur les lieux de travail). Une certaine culture de la peine au travail, de la monétisation du risque, une vision doloriste du travail salarié continuent à infester notre imaginaire, au moment où s’ouvrent de nouveaux espaces (particulièrement ambigus il est vrai) propices à la coopération, à la réalisation de soi et à la connaissance de l’autre dans le travail (où les parts relationnelles et créatives mériteraient certainement d’être valorisées pour elles-mêmes et pour l’estime de soi).
IV. Les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion
Dans ce domaine où, là aussi, vos connaissances supplantent les miennes, la principale nouveauté réside dans les politiques mises en place par Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, avec l’objectif de faire chuter le nombre de personnes pauvres de deux millions en cinq ans, le principal vecteur étant l’expérimentation puis la généralisation du RSA (Revenu de solidarité active).
Il est remarquable que la nouvelle possibilité, légale depuis 2003, de procéder dans notre pays à des politiques expérimentales pouvant déroger à la loi commune à la condition qu’elles portent sur des mécanismes qui, après évaluation, puissent être généralisables, n’ait jusqu’à présent été saisie que par le pouvoir central et non par des collectivités décentralisées ou par des organisations de la société civile. Les quelques tentatives qui se sont déployées sur le territoire à l’initiative principalement de conseils généraux (le Territoire de Belfort par exemple) ont été sommées de se placer illico dans le giron de l’expérimentation… gouvernementale. Même dans l’expérimentation c’est le jacobinisme qui l’emporte ! Même en matière expérimentale le pluralisme des hypothèses n’est guère goûté !
En cette matière, encore une fois, il y a loin de la coupe aux lèvres : le temps d’expérimentation, puis d’évaluation du RSA a été particulièrement court, et le dispositif a été peu soumis au débat contradictoire et public, malgré les grandes incertitudes quant aux effets à moyen terme d’une généralisation. A terme cependant, il ne fait guère de doute que la question de savoir si le RSA ne risque pas de conduire à la généralisation de l’emploi pauvre, et, plus encore qu’aujourd’hui, de l’emploi hyper précaire dans notre pays, le tout favorisé par une solvabilisation étatique généralisée de ce type d’emplois et d’activités, va immanquablement ressurgir. C’est dire si, à mon avis, la nécessité de voir des collectivités et des organisations de la société civile se saisir de ce droit à l’expérimentation demeure vive.
Les « dix commandements », définis dans un texte de M. Hirsch sur la question des sans-abri paru dans le journal Le Monde du 3 décembre dernier, méritent à ce sujet beaucoup d’attention. Le danger est lourd de voir s’instituer une véritable politique de gestion fine, dans le temps long, des populations exclues et très exclues, massivement déléguée par l’Etat au mouvement associatif (après mise en concurrence des associations pour gérer ce « marché »), au détriment d’un retour de toutes les personnes dans le droit commun et de la sortie effective et durable de l’exclusion. De surcroît, la mise en concurrence des associations risque de favoriser la « fabrication » de professionnalités et d’emplois pauvres et pauvrement rémunérés, appelés à gérer un domaine pourtant a priori très pourvoyeur d’emplois (services et aides à la personne, insertion…), et dont la qualité et la rémunération devraient être très nettement améliorées pour rendre efficaces et durables les politiques de luttes contre la pauvreté et l’exclusion.
Une modification des statuts, des qualifications, des niveaux de rémunérations, des conditions de travail et des engagements bénévoles ou semi-bénévoles est indispensable à l’efficacité de ces politiques. Un véritable saut culturel doit être accompli en la matière, un nouvel imaginaire doit être construit pour sortir des hiérarchisations et des reconnaissances du travail et de l’activité forgées par un tout autre univers (industriel et tertiaire) que celui où nous sommes entrés aujourd’hui.
La chose ne vaut pas seulement pour les professionnels de la lutte contre l’exclusion : elle vaut aussi pour les exclus eux-mêmes. La non reconnaissance des qualifications et des savoirs des migrants, des réfugiés politiques et plus encore des sans-papiers, des illégaux, participe de leur paupérisation généralisée et de l’échec des politiques d’insertion et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. De plus, cette non-reconnaissance tire vers le bas toutes ces politiques et tous ceux qui les organisent. En la matière, la réussite ne pourra naître que de la haute qualité, d’un bond de la recherche et de l’innovation transversales à toutes les sphères du savoir et de la technologie. Elle ne naîtra pas du traitement pauvre de la pauvreté.
V. Débats – réponses rapides sur quelques questions
Connaissez-vous des exemples à travers le monde de politiques beaucoup plus efficaces que celles de notre pays ?
Oui, bien sûr, des expérimentations, voir de véritables expériences ont été menées dans la durée, en France même. Mais, justement, aucune n’a été véritablement évaluée sur la durée, ni généralisée pendant suffisamment de temps. Beaucoup se sont enfouies, érodées, perverties, faute d’attentions et de moyens.
C’est une des raisons de la création de mon « laboratoire » que de revenir sur ce passé/futur, ce savoir « déjà-là », de façon à faire connaître les bonnes pratiques, même lorsqu’elles apparaissent fort éloignées des normes que les sociétés et les cultures érigent historiquement.
Des expériences intéressantes ont également eu entreprises à l’étranger, avec des résultats moyens bien supérieurs, ou du moins bien différents des nôtres. Ceci étant, presque partout, les inégalités prospèrent et les polarisations gagnent même là où le niveau moyen s’élève ! Même dans les pays de l’Europe du Nord, ou encore au Québec, où les niveaux de cohésion sociale et d’innovation sont nettement supérieurs aux nôtres, des pans entiers des modèles qui ont permis ces résultats se délitent parfois. C’est le cas de la santé et de l’éducation communautaire au Québec, par exemple. Parfois, certaines avancées demeurent acquises, mais à des coûts « éthiques » très discutables (situation très sécuritaire des Etats nordiques en matière sociale, très durs vis-à-vis de l’immigration avec des conséquences politiques conservatrices, ou même pire pire…).
Que savez-vous des innovations introduites par Médecins du Monde ?
Bien sûr les échanges de seringues, mais sur le reste, peu de chose. Il est très difficile d’avoir une visibilité de votre association dans sa mission France et plus encore de vos pratiques innovantes. Vous avez un gros problème de communication, vous êtes connus mais certainement pour d’autres raisons que vos actions en France. Quand je reçois vos documents, j’ai du mal à discerner par rapport à d’autres organismes. Il ne s’agit pas d’une critique, de ma part, car je ne suis pas sûr que la mutualité, avec ses 36 millions d’adhérents fasse mieux.
Qu’entendez-vous par action sur le risque ?
Des choses bien connues : non seulement soigner la personne (bien qu’un accès précoce et de qualité aux soins soit, par lui-même, une action sur le risque, en ce qu’il permet de le connaître en sa forme « native »), mais aussi agir sur les facteurs de risques et de coûts les plus facilement évitables, qu’ils soient d’ordre sanitaires directs, ou liés aux environnements du travail, hors du travail, dans la famille ou du fait de l’appartenance à des groupes.
C’est pour agir sur le risque que la participation des personnes les plus éloignées du système sanitaire me semble indispensable. Et c’est pourquoi je plaide souvent pour leur adhésion aux mutuelles et leur participation à leurs décisions (très faibles actuellement, d’où mes propositions incessantes, à partir de la CMU, de promouvoir à des postes dirigeants un nombre significatif de ses « bénéficiaires ») : non pas tant pour être en accord avec l’éthique mutualiste, et donc avec son rayonnement, y compris concurrentiel, que pour rendre possible une véritable réduction des risques.
La participation de ces personnes est nécessaire pour que le système sanitaire soit informé des risques les plus lourds, puisqu’elles y sont exposées, et pour qu’il puisse ce faisant se modifier et être plus efficient. A défaut, les facteurs de risque (et donc de coûts) et leurs étiologies continueront d’échapper à la compréhension du système sanitaire, qui les traitera encore de façon partielle et étroitement médicalisée.
Notes
[1] Puisque 70 % des médecins s’installent dans la région où ils ont fait leurs études.
[2] Soigneusement planifiée depuis des décennies, avec le numerus clausus et le burn out.
[3] La CADES est la Caisse d’amortissement de la dette sociale, chargée de la gestion des déficits des régimes de sécurité sociale depuis 1996 (ndlr).
[4] L’ONDAM est l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie. Voté par le Parlement, Depuis la réforme constitutionnelle de février 1996, il s’agit d’un pourcentage de progression des dépenses de santé pour l’année à venir. Après 1997, l’ONDAM voté par le Parlement n’a jamais été respecté (Bruno Palier, La réforme des systèmes de santé, 2004, p. 108-109). (ndlr).
[5] La CMU est la Couvertue maladie universelle, qui garantit à tous, depuis juillet 1999, l’affiliation au régime de base de la Sécurité sociale. Elle permet également aux personnes dont les revenus sont inférieurs à un plafond d’avoir accès à une couverture complémentaire gratuite en matière de soins de santé et à une dispense d’avance de frais. (ndlr).
[6] L’aide médicale État (AME) permet la prise en charge des frais de santé des étrangers en résidence non régulière sur le territoire français. (ndlr).
Daniel Le Scornet est ancien président de la FMF (Fédération des Mutuelles de France).