Écrit par Louis Calisti
Le caractère libre et volontaire des réalisations mutualistes doit être promu et protégé, explique ce texte de la FNMT daté de 1978 : il garantit la meilleure prise en compte des besoins des populations ; il permet la pleine association des personnes à la gestion des structures sanitaires et sociales (mutualistes ou non) ; il constitue, en dernière analyse, un outil de promotion de la Sécurité sociale, puisque « la Mutualité sait d’expérience que les conditions dans lesquelles [le] droit à la Sécurité sociale sera assuré auront des conséquences décisives sur la capacité à promouvoir la santé des individus ». Défendre le mutualisme, dans cette conception, c’est donc défendre la Sécurité sociale. Et réciproquement.
La Fédération nationale des mutuelles de travailleurs, réunie en juin 1978 à son IIIe Congrès à Évian, a voulu apporter sa contribution à l’élaboration d’une doctrine mutualiste moderne : faire de la Mutualité un mouvement social ouvert et dynamique, maintenir son indépendance absolue, développer ses libertés.
Voici l’essentiel de cette « contribution à la doctrine et à l’action mutualistes ».
La Mutualité s’exprime principalement par sa gestion, par ses réalisations. C’est ce qui fait son originalité et la distingue des autres formes d’organisation sociale volontaire. Dans l’évolution historique qui a conduit de la notion de charité à celle de droit à la santé, la Mutualité française s’est toujours manifestée par des réalisations concrètes qui exprimaient des besoins nouveaux…
L’extraordinaire diversification des besoins et des motivations humaines, qui caractérise notre époque, est particulièrement évidente dans le domaine de la santé. Toute tentative de planifier la demande sociale de façon technocratique, de la normaliser, de figer et d’uniformiser les structures de réponses aboutit à un gâchis économique et humain. Cette conception aboutit à retirer aux usagers la parole et à les dessaisir de leur pouvoir. Elle pervertit le rôle, la place et le savoir des personnels médicaux, paramédicaux et sociaux. C’est contre elle que lutte, réalise et agit le mouvement mutualiste français. C’est de démocratie et de liberté que la santé a besoin.
Les organismes publics ou institutionnels sont au service de tous les citoyens. Ils ne doivent ni réduire, ni contraindre, ni normaliser les structures volontaires, mais au contraire favoriser leur développement. A ce propos, l’importance des liens institués entre le mouvement mutualiste et l’ensemble des systèmes de protection sociale, les établissements sociaux et de santé, les collectivités locales, les comités d’entreprise, constituent une base d’une richesse considérable.
La première revendication des mutualistes demeure encore aujourd’hui la satisfaction du droit à la Sécurité sociale, l’accès égal pour tous aux soins sans autre contrepartie que les cotisations sociales et mutualistes, la sécurité pleine et entière des ressources. Tant que ce droit n’aura pas été entièrement satisfait, l’intervention mutualiste sera consacrée en priorité à la complémentarité de la Sécurité sociale.
Au remboursement complémentaire aux prestations de la Sécurité sociale, activité principale de la Mutualité, s’ajoute souvent la pratique du tiers payant, et l’organisation d’une liaison entre les mutualistes et leur système de protection obligatoire, au moyen des correspondants d’entreprise ou de localité, des sections locales de gestion de la Sécurité sociale, etc.
L’activité mutualiste complémentaire va bien au-delà d’une simple distribution de prestations supplémentaires. Elle montre que la gratuité des soins accessibles à tous, une sécurité réelle des ressources ne sont pas facteurs d’abus ou de gâchis, mais constituent des mesures efficaces, économiquement souhaitables aux plans social et humain.
La défense de la Mutualité, de sa liberté d’intervenir et de réaliser, actuellement menacée par le secteur de l’assurance et du profit, constituent bien une forme essentielle de l’action pour le droit à la Sécurité sociale. Compte tenu de l’insuffisance de la couverture sociale obligatoire, l’activité complémentaire à la Sécurité demeure le motif essentiel du rassemblement des mutualistes. Mais elle aussi l’obstacle le plus concret à l’élargissement du rassemblement mutualiste, au développement de besoins nouveaux, de ces formes nouvelles de consommation et de gestion. Cette contradiction dans laquelle se meut le mouvement mutualiste français depuis des décennies explique les confusions que l’on a ou qu’il a lui-même entretenues quant à sa nature et à son avenir.
Deux conceptions et deux pratiques antagonistes se sont développées : l’une, pour maintenir la Mutualité, a combattu la Sécurité sociale ; l’autre a considéré que la Mutualité était une institution désuète, régressive, sans avenir, qu’elle était l’un des obstacles à l’achèvement de la Sécurité sociale.
Aujourd’hui, les uns et les autres ont pris conscience qu’un droit réel à la Sécurité sociale favoriserait le développement de la Mutualité. La Mutualité sait d’expérience que les conditions dans lesquelles ce droit à la Sécurité sociale sera assuré auront des conséquences décisives sur la capacité à promouvoir la santé des individus.
Le droit à la santé qui constitue la finalité principale du mouvement mutualiste français ne doit pas être confondu avec le droit à la Sécurité sociale. Il est établi avec certitude aujourd’hui que la structure de la consommation des soins est très différente pour les mutualistes et pour le reste de la population. Cette différence, qui porte en particulier sur la précocité des soins et l’endroit où ils sont dispensés (médecine ambulatoire ou hospitalière) est source d’économies pour la société, et surtout plus satisfaisante au plan humain.
Le document d’orientation adopté par la FNMT en 1971 à Pantin définit les objectifs, les formes et les conditions d’un exercice médical qui met en œuvre une médecine d’équipe pluridisciplinaire, dans laquelle les praticiens sont rémunérés à la fonction.
Ces dernières années ont confirmé le caractère primordial et novateur de la médecine d’équipe ; elles ont permis aussi de mettre en évidence l’intérêt de la gestion mutualiste. La participation à la propriété des mutualistes, à la fois investisseurs, gestionnaires et utilisateurs de la structure sanitaire, volontairement associés à cet effet, incite à la recherche permanente en coopération avec des professionnels de santé, de la meilleure qualité possible dans l’économie des moyens, de d’adaptation permanente aux besoins.
Les gestionnaires sont en même temps ceux qui ont le plus de raisons :
- d’être intransigeants sur la quantité et la qualité des moyens qui seront à leur disposition lorsqu’ils seront eux-mêmes utilisateurs ;
- de veiller à la qualité des conditions matérielles et morales du travail de l’équipe médico-sociale ce qui suppose : son indépendance professionnelle, sa responsabilité dans le choix de nouveaux membres de l’équipe par l’équipe ; sa capacité d’être informée de tous les progrès techniques et scientifiques et de pouvoir les utiliser ; le libre choix par le malade et de la forme d’exercice médical par le médecin et le malade.
Ainsi la mutuelle tend à faire de l’individu un sujet actif et non l’objet d’une pratique sanitaire et sociale. L’éducation sanitaire et sociale, l’intervention sur les facteurs de risques et les atteintes à la santé, l’organisation de la prévention, la promotion des capacités physiques, intellectuelles et morales des individus sont les axes prioritaires d’une politique de santé.
Par-delà son activité gestionnaire fondamentale, le mouvement mutualiste français doit pouvoir être reconnu par l’ensemble du corps social et s’y insérer afin de faire prévaloir dans toutes les circonstances les exigences de la santé, et ceci, le plus en amont possible de l’accident ou de la maladie. A cet effet, le mouvement mutualiste est fondé à réclamer, à titre consultatif ou délibératif selon les organismes considérés, sa place dans l’ensemble des structures sanitaires et sociales du pays, dans les lieux de recherche de production et de distribution des biens et des produits sociaux, auprès des organismes élus de la cité et de l’entreprise.
Comme par le passé, mais dans des conditions nouvelles, l’intervention principale de la Mutualité résidera dans sa gestion et ses réalisations. Cette activité peut revêtir deux formes :
- il peut s’agir de la gestion de son patrimoine, de ses propres réalisations dans l’immense champ ouvert à son intervention ;
- dans d’autres cas, il s’agira de la gestion de réalisations sanitaires et sociales appartenant à des collectivités avec lesquelles la Mutualité développe des liens de coopération.
La propriété, la gestion et l’entreprise mutualiste s’intègrent dans le vaste champ de l’économie sociale à but non lucratif qui constitue, par son importance et sa diversité, un des phénomènes les plus originaux de notre pays.
Du fait de son unité, de sa conscience, de son caractère populaire et de son fonctionnement démocratique, le mouvement mutualiste français peut jouer un rôle moteur dans ce secteur de l’économie sociale.
L’action mutualiste naît de la gestion et elle la nourrit. Elle doit pouvoir utiliser, à l’initiative des mutualistes eux-mêmes, toutes les formes d’expression et de manifestations légales. Elle ne saurait se tenir à l’écart des luttes pour le respect et l’extension de la liberté et de la démocratie.
Confronté aux réalités, le mouvement mutualiste a pris peu à peu une meilleure conscience de lui-même, de sa pratique et de ses valeurs. Il a remplacé le concept de neutralité par celui d’indépendance. Lorsque le patrimoine et les libertés mutualistes, et la possibilité même d’être mutualiste sont menacés, l’action prend une importance plus grande et son organisation devient déterminante, prioritaire. Elle ne constitue pas cependant une fin en elle-même, mais un moyen de défendre la gestion et les réalisations mutualistes.
Ces dernières années, l’action mutualiste est apparue au premier plan. Elle y restera tant que la mutualité sera fondamentalement mise en cause.
Le patrimoine mutualiste, est la propriété inaliénable des mutualistes. Tout ce qui tend à contraindre de façon discriminatoire l’acquisition et la gestion de ce patrimoine doit être combattu.
Le Code de la Mutualité doit être révisé afin de mieux répondre aux exigences démocratiques et libérales actuelles. Mais il est connu que les contraintes économiques sont les plus efficaces pour faire obstacle aux libertés. Le mouvement mutualiste sait par expérience que tout ce qui limite le niveau de la protection sociale et de la sécurité de la population ralentit du même coup ses possibilités d’intervention et met en cause ses capacités de rassemblement. La Mutualité doit alors pallier en priorité les manques les plus graves de la couverture sociale, ses autres activités en pâtissent, elle perd en partie son caractère novateur et créateur. Elle est obligée d’augmenter sa cotisation, dont le poids devient insupportable à une part de plus en plus importante de la population.
En fonction de cette situation, qui éloigne de la Mutualité près d’un Français sur deux, la Mutualité des travailleurs agit pour que la cotisation des salariés et des chômeurs soit prise en charge en partie, par les employeurs ou par l’assurance chômage. Une telle demande, reprise dans son principe par l’ensemble du mouvement mutualiste français, ne saurait remettre en cause le caractère démocratique de la gestion des sociétés par les seuls mutualistes. Elle est conjoncturelle. Elle n’aurait plus de raison d’être avec une Sécurité sociale au plus haut niveau, allant rapidement vers la gratuité des soins et la garantie réelle des ressources. L’action pour une véritable Sécurité sociale est donc aussi une action en faveur de la libération et du développement de la Mutualité.
La Mutualité est une forme spécifique d’autogestion. Sa nature même est autogestionnaire, puisque les hommes qui la composent se sont rassemblés du fait de leur seule volonté, se réunissent à leur gré pour désigner des responsables, définir leurs orientations, gérer comme ils l’entendent leur patrimoine commun.
Le plein développement et l’efficacité totale de l’association mutuelle d’hommes et de femmes dépendent en grande partie de la volonté de l’État, non seulement de ne pas remettre en cause ces libertés, mais de favoriser leur épanouissement. C’est en ce sens, en toute indépendance, que le mouvement mutualiste doit agir.
Ce texte est extrait de Louis Calisti, La mutualité en mouvement, Messidor/Éditions sociales, 1982, p. 28-34.
Photo : Louis Calisti